petite note de lecture sur la communication politique

Publié le par Damien

Cette note complète l'article intitulé Dire et communiquer que j'ai posté le 17 décembre. Dans cet article, je n'avais abordé que par allusion la communication politique. Je voudrais ici parler d'un avis que je sais partagé selon lequel la rhétorique des discours politiques est en train d'atteindre le plancher des vaches de la rhétorique ou le degré zéro de l'écriture. Marc Fumaroli, commis voyageur des Humanités et de la culture classique a plusieurs fois soulevé le problème de la nullité rhétorique de la communication politique moderne (nullité apparemment bien assumée par les intéressés). On peut constater en effet que le discours de l'homme politique standard devient plus sec que le rapport d'un centurion chez Tite-Live. Et encore, à l'époque de Tite-Live, on pouvait faire passer la sobriété pour un luxe, et confondre un style étique avec un style attique.
Aujourd'hui, sans parler des anaphores gaulliennes (Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré !...) ou bien des longs discours de Malraux, c'est la petite phrase, le laconisme mordant qui est mis en cause.
Il y a toutefois de flamboyantes exceptions, et j'ai beaucoup apprécié la récente sortie de la Secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, Rama Yade, à propos de la venue de Khadafi à Paris, tant sur la forme que sur le contenu.
Mais je me souviens par ailleurs, que Jean-Louis Ezine (ou bien était-ce Marc Kravetz ?) a récemment déploré la disparition de la "Petite phrase" dans une de ses chroniques sur France-Culture (ou bien était-ce sur France-Inter ?). Je n'ai pas réussi à en retrouver les références, mais il me semble que l'argument en était proche de cette conversation que mènent deux personnages de Jonathan Coe dans son dernier roman sur les années Blair, le "cerle fermé". J'ai la première édition de poche de Gallimard en main et je cite la page 77 où Paul, jeune député travailliste, essaie de séduire une jeune éudiante en journalisme, Malvina, qui représente le point de vue des médias :

Paul : "Donc, d'après vous, si je comprends bien, disait Paul, le discours politique est devenu un genre de champ de bataille où politiciens et journalistes s'affrontent jour après jour sur le sens des mots.
-Oui, parce que les politiciens font tellement attention à ce qu'ils disent, les déclarations politiques sont devenues tellement neutres que c'est au journalistes qu'il incombe de créer du sens à partir des mots qu'on leur donne. Ce qui compte aujourd'hui, ce n'est plus ce que vous dites, vous autres, c'est la manière dont c'est interprêté."


Lorsque Paul un peu sceptique, rapporte à l'étudiante, une bourde qu'il a faite le matin même au micro d'un folliculaire. Celle-ci lui conseille d'accuser le journal qui a recueilli ces propos de les avoir extraits injustement de leur contexte et, reprenant la phrase fautive, elle l'encadre par des considérations qui donnent à celle-ci l'air d'une antiphrase :

-"C'est très moderne, l'ironie, assura t-elle. Très in. Vous voyez, vous n'avez plus besoin d'expliciter ce que vous voulez dire. En fait, vous n'avez même pas besoin de penser ce que vous dites. C'est toute la beauté de la chose"
 
Ainsi l'invention d'un contexte reconstitué à une phrase maladroite est en effet actuellement la meilleure parade que les politiques ont trouvé pour affronter le Premier Pouvoir.

A la fin du roman de Tabuchi, Nocturne Indien, c'est une journaliste qui conseillait au héros de se méfier du cadre choisi ("méfiez-vous des morceaux choisis" :

« Le livre commençait par une photo que je considère comme la plus réussie de toute ma carrière... C’était un agrandissement. La photo reproduisait un jeune Noir, on ne voyait que le buste ; un maillot de corps avec un texte publicitaire, sur le visage une expression d’effort intense, les mains levées dans un geste victorieux : il est de toute évidence en train de franchir la ligne d’arrivée, le cent mètres, par exemple. La deuxième photo, c’était la photo entière. A gauche, il y a un policier habillé comme un martien, avec un casque en plexiglas sur le visage, des bottes montantes, le fusil épaulé, des yeux féroces sous la visière. Il est en train de tirer sur le Noir. Et le Noir s’échappe, les bras levés, mais il est déjà mort : une seconde après avoir appuyé sur le déclic, il était déjà mort. Mon livre s’appelait Afrique du Sud et il y avait une seule légende sous la première photo, l’agrandissement. C’était ’méfiez-vous des morceaux choisis».
 

[Sur cette problématique de la sélection dans l'image, voir aussi l'un de mes premiers articles, "Le choix du cadre"]

Dans cette étrange conversation entre le député et la future journaliste, on assiste donc au renversement d'un argument déontologique (prendre en compte le contexte autant que le fait, la  phrase autant que le texte dans lequel elle trouve place) au profit non pas de la qualité de l'information mais au contraire au bénéfice de ceux qui veulent utiliser les médias sans avoir à répondre de leurs propos (en l'occurrence les hommes politiques mais il pourrait tout aussi bien s'agir de stars ou d'intellectuels). "C'est toute la beauté de la chose", pour reprendre l'expression de Malvina.

Nul doute que si la botte de Malvina se répand dans les milieux politiques on verra à nouveau de nombreux communiquants se laisser prendre en "flagrant délit de petite phrase mal pensante". Pour l'instant, le monopole en revient à notre Président de la république et il me semble qu'il n'est pas davantage prêt à le partager que la couverture du Nouvel Observateur.
  

PS : sur la "petite phrase", lire aussi le propos de Milan Kundera dans l'Immortalité (folio poche 1993, p86-87) :
"Les hommes politiques prononcent de longs discours en répétant, sans la moindre gêne, toujours la même chose, sachant que de toute façon le public n'en connaîtra que quelques mots cités par les journalistes ; pour leur faciliter la tâche et pour les manipuler un peu, ils insèrent dans ces discours de plus en plus identiques une ou deux phrases qu'ils n'avaient jamais dites ; c'est en soi si inattendu, si étonnant, que d'emblée la petite phrase devient célèbre. L'art politique aujourd'hui ne consiste plus à gérer la polis (celle-ci segère elle-même, suivant la logique de son mécanisme obscur et incontrôlable), mais à inventer de petites phrases selon lesquelles l'homme politique sera vu et compris, plebiscité dans les sondages, élu ou non"

La fin de la petite phrase signifie peut-être que la communication de l'homme de pouvoir se recentre sur sa conformité avec l'image postulée du français moyen (retrouvera t-un jour la ménagère de moins de cinquante ans ?). Conformité non conforme, bien sûr, pluisqu'il faut plaire à Mme Michu en montrant qu'on peut rester Mme Michu tout en devenant "people". Telle est sans doute la signification ultime de l'escapade du Président de la république au parc Disneyland. 

 

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