Jesse James, Mesrine : Paradoxales popularités
Jesse James, Mesrine... les biopics de gangsters ont ceci d'intéressant qu'ils nous obligent à nous poser la question suivante : dans le destin de ces deux hors-la-loi, qu'est-ce qui nous intéresse à ce point ? Bien sûr, on pourrait mentionner le plaisir spécifiquement tragique de savoir la fin avant d'avoir vu le début. Les scènes d'assassinat de l'un et l'autre (Porte de Clignancourt au volant d'une voiture ou dans une chaumière du Missouri en train d'épousseter un tableau), tout cela est largement connu. Nous fait aussi rêver -nous qui jusqu'à notre retraite serons "esclaves de notre réveil matin" (Mesrine)- la vie débridée, "affranchie" de toute règle commune que mènent les gangsters qui sont à leur compte. (Au contraire, le milieu de la mafia est saturé de traditions en tout genre et laisse peu de place à la mégalomanie. Les deux jeunes protagonistes de Gomorra en font la mortelle expérience).
Jesse James et Mesrine ont tous les deux rêvé d'une vie sans contrainte. Le second fut certainement mégalomaniaque, et le film qui met en scène le premier "The assassination of Jesse James by the coward Robert Ford" nous le montre en proie à une étrange mélancolie. Tous leurs actes semblent dictés par une problématique personnelle que Mesrine a appelé "l'instinct de mort". Pourtant les analyses sociologiques n'ont pas manqué pour tenter d'expliquer le fait que l'un et l'autre ait basculé dans la criminalité. Ces deux gangsters ont tous les deux perdu une guerre : Mesrine, l'Algérie, Jesse James, la guerre de sécession. Dans les deux cas, le futur bandit a trempé dans les pires exactions (exécutions sommaires de résistants algériens, massacres de civils au côté du redoutable Quantrill)
Du temps de leur vivant, ces deux gangsters sont devenus des "légendes" paradoxales : on les admire et on les craint ; on voudrait les voir morts et en même temps, on souhaite qu'ils continuent à déconsidérer la justice (Jesse James tient en échec les Pinkerton lancés à ses trousses, et Mesrine tient en joue toute une cour de justice)
Cela explique que le soulagement qui a suivi l'annonce de leur mort ait été suivi de débats et de polémiques sur les circonstances de leur assassinat. Dans un cas, on accuse les forces de l'ordre d'avoir tiré sans sommation (ce qui est sans doute le cas), dans l'autre, l'assassin d'abord admiré par tous pour son courage, voit rapidement son étoile ternie à mesure que celle de sa victime monte au firmament des "légendes de l'Ouest". Cette haine ira jusqu'au meurtre, puisque Robert Ford, l'assassin de Jesse James sera à son tour abattu dans son propre bar.
A l'un comme à l'autre, on a prêté la volonté de subvertir le système, alors que leurs actes laissent très peu de place à une telle interprétation. Jesse James est devenu dans l'imaginaire populaire une sorte de Robin des bois "volant les riches pour donner aux pauvres", comme le dit la chanson qui commémore son assassinat ; la cavale de Mesrine ponctuée de braquage de banques et de casino ont intéressé un temps les milieux de la gauche radicale.
L'entretien que Mesrine a accordé à une journaliste de Paris-Match manifeste une tonalité de plus en plus politique. Mesrine y mentionne la bande à Baader, les camps de réfugiés palestiniens ; il attaque l'institution judiciaire en tant que telle, dans un temps où d'autres parlaient de la "déconstruire". Mesrine avait compris quel bénéfice symbolique il pouvait attendre pour son image personnelle de telles références en un temps où la droite détenait le pouvoir réel et la gauche le pouvoir médiatique.
A certaines époques troublées ou pré-révolutionnaires, on ne peut pas échanger des tirs avec les autorités sans se faire considérer comme un redresseur de torts. C'est pourquoi la popularité paradoxale de Jesse James et celle de Mesrine nous en disent long sur le climat social de ces deux époques très différentes.