le cybernaute et son ombre

Publié le par Damien


Le mouvement des wandervogel constitue la première étape du vagabondage culturel des jeunes Allemands. Ce mouvement trouve ses racines dans le romantisme allemand et la volonté d'établir un contact direct avec la nature. Le terme "wandervogel" (oiseau vagabond) a résisté au nationalisme et même à l'hitlérisme qui ont un temps recruté au sein de ces groupes de jeunes errants. Sylvain Tesson, notamment, dans le Petit Traité sur l'immensité du monde se recommande de cette éthique. A priori, rien n'est plus éloigné du vagabondage qu'un document attestant que vous êtes bien vagabond. C'est pourtant le sens de cette carte numérisée et diffusée sur le site de l'Université de Constance.


Qu'est ce qu'un document ?

La documentaliste
Suzanne Briet (1894-1989) a répondu à cette question en recourant à la célèbre comparaison de l'antilope :
"L’antilope qui court dans les plaines d’Afrique ne peut être considérée comme un document… Mais si elle est capturée… et devient un objet d’études, on la considère alors comme un document. Elle devient une preuve physique." 


L'antilope au zoo est donc un document.


Une
réflexion récente de Jean-Michel Salaün suit le même raisonnement et compare le membre du réseau Facebook à un document (et Facebook à un zoo) ; cette perspective va dans le sens d'une redocumentarisation du monde annoncée par d'autres analystes du web. (Olivier Ertzscheid renchérit sur ce constat dans sa présentation au CNAM de ce mardi 18 décembre)

Pourtant, il me semble que cette redocumentarisation liée au web 2.0 ne change pas fondamentalement la donne. L'archivage des données personnelles comme moyen de coercition des anciens systèmes totalitaires n'avait-il pas déjà inauguré cette nouvelle ère ?

Documenti, per favore

"Documenti, per favore", demandait le douanier italien au voyageur désirant marcher de Menton à Vintimille. Dans le Monde d'hier, Stefan Zweig évoque avec nostalgie l'époque antérieure à la Première guerre mondiale où le wandervogel n'avait pas à présenter ses "documents" à la maréchaussée pour passer les frontières :

"Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu’il lui plaisait. Il n’y avait point de permissions, point d’autorisations, et je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un." 

Si, en Europe du moins, les frontières sont devenues après la seconde guerre mondiale des archaïsmes, des rides, pour ainsi dire sur le visage du vieux continent et que ce continent à subi récemment un grand lifting au moment lorsque l'espace Shengen s'est construit, la carte d'identité est toujours plus sollicitée en France par les autorités et notamment auprès de ceux qui ne ressemblent pas précisément à des Gaulois.


Un bureau de poste à Nancy


Un jeune homme de Nancy a récemment raconté sur France-Inter l'infortune que lui a valu l'honneur d'être le détenteur d'une des premières cartes d'identité plastifiées éditées par le conseil général lorrain (une version bêta pour parler comme les internautes). Après qu'il eu présenté sa carte au guichet de poste pour retirer un colis, le responsable du guichet  lui a refusé de la rendre au motif que son appareil de reconnaissance y détectait une anomalie. Cet "usager du service public" a été contraint de gagner le poste de police le son quartier pour récupérer sa carte. A la manière dont les officiers l'ont toisé sur place, il a vu venir le moment où on lui passerait les menottes. Le malentendu s'est dissipé quand un agent a fait remarquer que cette carte était en somme un prototype et que les machines modernes n'étaient plus capables de la lire mais que les données qu'elle comportait étaient certainement indiscutables. L'OPJ a alors sommé le directeur du comptoir postal de s'excuser et tout est rentré dans l'ordre.

Mais de cette mésaventure, on peut tirer quelques morales contemporaines :
-le service public, c'est aussi le profilage des usagers. (cf. aux Etats-Unis les bibliothécaires et le patriot act)
-C'est à des machines à laser qu'il revient maintenant de décider si vous êtes Monsieur Dupond ou bien un imposteur.


Le fichage spontané


Pour en revenir aux zoos humains sur Internet et à la redocumentarisation du monde, ce qui est peut-être inédit, c'est que le fichage jusqu'à présent était l'apanage des autorités. Aujourd'hui, chacun se fiche lui-même (et c'est ce que votre serviteur a fait en partie -quoique sans conviction- sur ce blog), chacun soigne son référencement et chacun utilise Internet pour gérer son image sans se soucier de savoir ce qu'il adviendrait de ses données personnelles si, par malheur, Google devenait méchant.


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