Les Khmers rouges de Rennes 2

Publié le par Damien

photo trouvée sur Flickr et postée par EkE2k6 ; cette photo remonte au mouvement anti-CPE (printemps 2006) ; le tag présent à la fin du mouvement a été effacé depuis.

Chacun s'accorde à dire que le "mouvement" actuel contre la LRU (ou loi Pécresse) a commencé à Rennes 2 comme a fini dans cette même fac le mouvement anti-CPE.
En effet, il y a un an et demie, la mobilisation des étudiants contre le CPE s'était terminé par un épisode difficile qui aurait pu mal se finir si le Président n'avait décrété opportunément une fermeture administrative (ce qu'il ne s'est pas encore résigné à faire dans le conflit actuel pour ne pas provoquer la venue des forces de l'ordre sur le campus). 

En avril 2006, en effet, après qu'un vote à bulletin secret ait manifesté qu'une majorité d'étudiants était favorable à l'arrêt des blocages, un "collectif de lutte" avait pénétré par effraction le soir même dans les externats du campus de Villejean et y avait remis en place les barricades pendant la nuit. Au matin, les étudiants qui avaient été avisés d'un retour à la normale ont trouvé de nouveaux piquets de grève à la porte de leurs cours. 

C'est une situation que l'on a vient de revivre  mardi, après seulement une semaine de blocage (contre deux mois lors du mouvement anti-CPE).  La veille, un vote à bulletin secret avait été organisé sur proposition de l'assemblée générale des étudiants. Ce vote avait déjà été empêché une première fois par un groupe d'étudiants radicaux le jeudi précédent. (Ce groupe avait investi le hall du pôle langues où devaient se trouver les urnes et avaient repoussé les personnels qui étaient venus pour organiser le scrutin).

Lundi, la tribune qui préside habituellement l' AG a réussi à retarder le vote, mais elle n'est pas parvenue à retourner le voeu d'une majorité d'étudiants d'y recourir, même en recourant aux amalgames habituels ( "qui est pour le blocage et contre Sarkozy, levez les deux mains...")  Le vote a donc bien eu lieu à partir de 13h00 sous la responsabilité d'étudiants bloqueurs et anti-bloqueurs décidés à en passer par les formes démocratiques pour dégager une majorité, et avec l'aide des personnels qui se sont relayés toute la journée sur le lieu du scrutin. (J'ai personnellement surveillé pendant deux heures le comptage des voix "pour" et "contre"). Le résultat était sans appel : 61,82 % des voix s'opposaient au blocage.

Le lendemain, donc, comme en avril 2006, les étudiants et les personnels se sont heurtés à l'opposition d'individus parfois armés de barres de fer et de battes de base-ball qui bloquaient les issues. Il n'y avait pas eu d'effraction, cette fois. Une fois encore, les personnels dont les locaux étaient inaccessibles étaient invités à rentrer chez eux ; une nouvelle cessation d'activité a été décrétée. Les étudiants ont eux aussi, peu à peu vidé le campus ou bien sont partis travailler à la BU centrale. (Celle-ci n'a jamais été fermée lors d'un mouvement étudiant depuis 2003 (passage au LMD)

Voilà les faits. Voici maintenant mon analyse :


Le rôle des syndicats étudiants



J'ai vu des représentants de l'UNEF appeler au respect du vote à bulletin secret, ce qui est une bonne chose. Bruno Julliard lui-même a condamné la contestation du vote par les ultras de Rennes 2, précisant qu'un blocage pouvait avoir lieu dans une université seulement si une majorité d'étudiant était d'accord avec cette modalité d'action. Rappelons que l'UNEF ne souhaite pas l'abrogation de la loi Pécresse qu'elle a négociée avant sa promulgation mais appelle néanmoins à amplifier la contestation, pour faire chorus aux multiples grèves auxquelles nous nous joignons ou bien que nous subissons en ce moment. Je n'aimerais pas être dans la peau des représentants de l'UNEF qui écrivent les communiqués tant ceux-ci peuvent être taxés d'opportunisme et de contradiction.

Sur place, à Rennes 2, l'UNEF a un rôle important à jouer en tant que syndicat majoritaire pour recadrer les étudiants vers le véritable enjeu de ce mouvement qui n'est pas le blocage d'une fac, mais la critique d'une loi. Espérons qu'elle se montre à la hauteur.



Qui sont les Khmers rouges de Rennes 2 ?




Dans une communication à la presse, le président Marc Gontard a qualifié de "Khmers rouges" les personnes qui occupaient le hall B et ceux qui empêchaient par une démonstration de force la réouverture des autres bâtiments pédagogiques ("Ces bloqueurs ont des méthodes de khmers rouges").De fait, la spécificité des mouvements étudiants à Rennes 2 tient à la pérennité d'un groupe d'agitateurs qui tiennent un discours marxiste à caractère fataliste dans le meilleur des cas ("ce monde est à chier, qu'il s'écroule sans nous ; bloquons tout", lit-on sur les murs de l'amphi Chateaubriand) ou, dans le pire des cas, nettement paranoïaque. Dans un article de Ouest-France, un étudiant explique qu'il s'est retranché à Rennes 2 pour contrer "l'invasion de l'impérialisme". Dominique Boullier, professeur en sociologie, expliquait ce matin à l'assemblée générale des personnels que l'étudiant bloqueur avec lequel il avait discuté la veille affirmait faire revivre l'esprit du "conseil national de la résistance", ce qui relègue toutes les personnes extérieures à cette frange dure au rang de collaborateurs ("UNEF collabo", tel est le tag qu'on peut lire sur le mur nord du Pôle langues), voire de nazis.


Ces étudiants manient des idéologies et des symboles historiques qu'ils ne maîtrisent pas. J'ai vu jeudi une fille parader avec une toque de l'armée rouge sur la tête et un drapeau noir à la main. Anarchie et Stalinisme, tout est bon pourvu qu'on fasse la fête.("contre la précarité, soyez festifs" était un mot d'ordre du mouvement anti-CPE)
Les mots d'ordre que l'on entendait étaient alors : "a mort la culture !", "la démocratie, c'est tout sauf le vote !"...Ces étudiants ont une culture politique souvent réduite à son minimum et peinent à communiquer leur point de vue aux journalistes venus les interviewer : "tout est écrit dans nos tracts" répondent-ils en se détournant des micros.


Au moment où j'écris, ces étudiants sont en train de cuisiner des raviolis sur plusieurs réchauds au milieu du hall B en écoutant de la musique. Ils ne sont pas moins emmurés dans leur idéologie qu'ils ne sont retranchés dans ce bâtiment qu'ils avaient saccagé un an et demie plus tôt. A ces étudiants jusqu'au-boutistes s'ajoutent les supplétifs de squats comme celui de l'Ecluserie qui se promènent au milieu du hall B dans leurs inévitables treillis, une bouteille de bière à la main. (Je viens d' aller y faire un tour et je sais de quoi je parle.) 
A ce qu'on sait (par la présidence) ces "militants extérieurs" sont entrés en rivalité avec les radicaux de la CNT et de Sud-Etudiants pour orienter les suites du mouvement. Une marginalisation progressive de ces nervis pourrait bien amener les étudiants retranchés à reprendre contact avec la Présidence pour trouver une issue à la situation.

Suite du blocage :

Mercredi 14 novembre : assemblée générale des personnels



Celle-ci a convoqué une assemblée générale des personnels pour envisager les scénarios d'une reprise des cours. Plusieurs voix, celle du Président, Marc Gontard, mais aussi celle de Dominique Boullier (cf. supra), celle d'Alain Abelhauser ont pris l'assemblée à témoin que la situation présente ne relevait pas seulement d'une gestion de crise "à la petite semaine", mais qu'il en allait de l'existence même d'une fac de LSHS à Rennes 2. En effet, Marc Gontard, a rappelé que les volontés politiques au rectorat et même au ministère ne manquaient pas pour amoindrir le poids de Rennes 2 au sein des universités bretonnes, et que ces volontés se trouvaient confortées par la faible résistance que la fac pouvait opposer à ces incursions régulières d'agitateurs et de boute-feux en période de crise sociale. On a parlé de faire appel à une police privée. Les forces de l'ordre en délogeant à deux reprises des bâtiments de la présidence les membres d'un collectif ont néanmoins échoué à relever leurs identités. L'identification des fauteurs de troubles n'étant pas encore faite, les seules plaintes qui ont été portées ces deux dernières années lors de ces échauffourées l'ont été contre X. Au cours de la même AG, certains professeurs ont invité leurs collègues à être présents demain à 8h00 pour "libérer la fac". Cette proposition a été reprise par le bureau dans une motion qui a été approuvée à l'unanimité à 11h30. Cette motion applle tous les personnels à faire bloc demain sur le campus pour procéder à la réouverture des locaux. 

Jeudi 15 novembre : évacuation du Hall B


La police est intervenue à 2h00 et a évacué le hall B. Les personnes évacuées ont opposé très peu de résistance. La plupart sont partis de leur propre chef quand ils ont vu l'arrivée des policiers. L'équipe adminsitrative a commencé à ranger tables et chaises juste après l'évacuation.

Ce matin, le service intérieur a rouvert les portes des bâtiments un à un et les étudiants ont gagné leurs salles de cours. Rennes 2 se trouve dans la situation paradoxale d'être la première fac reprenant ses activités alors que le nombre d'universités bloquées n'a cessé de grandir jusqu'à présent (on est passé hier de 17 à 20). Espérons que le mouvement contestataire des étudiants s'oriente dorénavant de façon plus constructive.
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Publié dans université

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