Rennes 2 : révolte des personnels contre le désordre imposé
Sur la dalle, humide des pluies tombées dans la nuit, personnels et étudiants venus suivre les cours se retrouvaient devant une situation qu'ils connaissaient bien. C'était la troisième fois qu'elle se produisait depuis le début du mouvement anti-LRU et elle s'était produite plusieurs fois également pendant le mouvement anti-CPE. Depuis la veille à 15h00 un conflit de légitimité se prolongeait entre la présidence qui avait procédé à un vote électronique en fin de semaine dernière, lequel vote avait donné une majorité aux débloqueurs aprochant les 75%, et le vote de l'assemblée générale des étudiants qui s'est rassemblée hier et qui a donné une très courte majorité aux partisans de la poursuite du blocage.
Dans ce genre de circonstances, il est déjà arrivé que le président de la faculté, Marc Gontard, décrète une fermeture administrative (à la toute fin du mouvement anti-CPE). Deux fois au cours de ce mouvement, c'est une cessation des activités pédagogiques qui a été décidée, solution qui permettait de laisser -grâce à l'ouverture de la bibliothèque universitaire- un semblant de vie sur le campus. Aujourd'hui, la tournure des événements était parfaitement inédite.
La marche des personnels contre l'occupation de la fac
La veille, des étudiants bloqueurs s'étaient opposés à la fermeture des bâtiments. Un directeur d'UFR me disait ce matin qu'il avait du pousser une porte contre des étudiants qui la poussaient dans l'autre sens. Dans la confusion, quelqu'un lui avait lancé un oeuf. Dans le bâtiment B, qui sert traditionnellement de QG aux grèvistes, et que les forces de l'ordre ont fait évacué à deux reprises depuis le début du mouvement, des heurts ont également éclaté. Des personnels ont pris des coups.
Dans cette situation, le Président, au haut-parleur, a donné la consigne d'avancer vers le hall B, à une centaine de mètres de nous, pour en débloquer l'entrée. "Vous êtes venus pour travailler et étudier, alors, je propose de marcher jusqu'au Hall B pour libérer l'accès aux locaux". Une salve d'applaudissements modérée a accueilli cette annonce. J'entendais derrière moi, une dame dire "les grands et les forts" devant.
De fait, je me suis trouvé en tête de cette étrange procession qui se dirigeait vers les marches du bâtiment B, lieu près duquel se tiennent les assemblées générales étudiantes. Nous sommes ainsi arrivés devant un cordon d'étudiants et de personnes inconnues qui se tenaient bras dessus-bras dessous, pour nous empêcher de passer. J'ai pensé tour à tour au rugby (c'est bien une mêlée qui a suivi) et à la mécanique des fluides.
La mêlée
Tout d'abord, il n'y a pas eu de discussion ni d'injures, mais un affrontement de masses. Malgré les efforts des personnels, le barrage des étudiants bloqueurs est resté inamovible. J'ai vu des enseignants d'âge mûr et d'une courtoisie extrême, se cramponner aux bras des bloqueurs et pousser comme s'ils étaient devenus des demie de mêlées. Moi-même, parmi les premiers, je me suis vu pousser de toutes mes forces pour faire sauter le bouchon. Assez rapidement, j'ai pris conscience de l'inutilité de nos efforts.
J'ai du glisser vers le côté, pour ne pas me retrouver pris en sandwich entre le barrage et les collègues derrière moi. Dans cette situation qui tait davantage tenable, je me suis rendu compte, que d'autres ouvertures avaient été dégagées dans le bâtiment B par lesquelles s'engouffraient les personnels et les étudiants et j'ai compris que la stratégie de la Présidence était sans doute de focaliser l'attention des étudiants sur ce hall B afin de faire diversion.
Comme le bouchon n'avait pas sauté, des accusations ont commencé à fuser de part et d'autre. En première ligne, quelques enseignants de psychologie, quelques personnels de bibliothèque dont moi-même, le président et deux vices-président répondaient à ces accusations en dénonçant les modalités du blocage et le déni de démocratie.
En même temps que nous argumentions, nous essayions de contenir les étudiants derrière nous qui voulaient en découdre avec les bloqueurs et en finir une fois pour toutes.
une douche de neige carbonique
Dans ce climat extrèmement tendu, au dessus de nous, au premier étage du bâtiment B que nous essayions de libérer, le bec d'un extincteur a déversé tout son contenu sur nous. Protégé par la corniche du bâtiment, j'ai été à peine éclaboussé. En revanche, je revois les cheveux et les épaules du Président, et des collègues couverts de neige carbonique. Deux extincteurs ont été ainsi vidés sur nos têtes et fort heureusement, aucun objet lourd n'a été jeté après cette aspersion. De même, les gens commençaient à discuter, violemment sans doute, mais les échanges d'arguments signalaient que la perspective d'un échange de coups s'éloignait. Il y a eu tout de même juste à côté de moi quelques empoignades au milieu desquelles nous nous sommes interposés. A un certain moment, j'ai vu porter à bout de bras depuis l'intérieur du Hall, une tarte à la crème qui est venue s'écraser contre le visage d'un des vice-présidents responsable de la sécurité des locaux.
Plus tard, les caméras de télévision juste derrière moi ont essayé de cadrer le cordon des bloqueurs. Photographes et cameramen ont alors filmé calmement les doigts d'honneur que ceux-ci leur tendaient. "Quelle noblesse dans le geste, voilà qui va admirablement redorer l'image de votre mouvement à l'extérieur de la fac !", leur ai-je alors lancé. Dans le groupe d'étudiants qui barraient la voie au hall B se trouvaient des personnes plus âgées, que mes collègues et moi-même avons mis au défi de présenter leur carte d'étudiant. Ils nous ont juré qu'ils en avaient bien une, mais ont refusé de montrer le petit rectangle bleu qui permet d'attester son appartenance à la fac.
"Je suis fils de républicain espagnol, je sais mieux que vous ce qu'est le fascisme"
Je me souviendrai longtemps de ce professeur d'espagnol, M. Ricardo Saez, répondant à des bloqueurs qui proclamaient que nous vivions dans un Etat fasciste. M. Saez, fils de républicain espagnol, avait connu avec son père l'essence du véritable fascisme et assurait que si nous vivions vraiment dans un état fasciste, ce ne sont pas à des professeurs que les étudiants bloqueurs auraient affaire, mais à l'armée. "Vous avez des battes de base-ball et des barres de fer, disat-il, et en montrant sa sacoche : "nous ne sommes venus qu'avec nos cartables et les forces de notre esprit." Les bloqueurs eux-mêmes cherchaient une posture plus avantageuse pour nous répondre. L'un d'eux m'a lancé sans rire que le tribunal de l'Histoire nous jugera (nous qui sommes accusés d'être des briseurs de grêve et pour reprendre une expression également entendue les "caniches du Président"). Autre fait curieux : les bloqueurs étaient persuadés avoir affaire à des anciens mao dès qu'ils s'adressaient à des enseignants grisonnants. La "couleur traître" stigmatisait donc tous les crânes sur lesquels la neige du temps s'était répandue (amplifiée sur le moment par la neige carbonique)
Autre fait curieux : à un certain moment, quand les bloqueurs subissaient la pression des personnels et des étudiants venus travailler, ils se sont mis à chanter "On veut des bisous !", comme les émeutiers qui étaient descendu au centre-ville après le second tour des Présidentielles en mai 2007.
règlement très provisoire du conflit
La situation est devenue surréaliste lorque nous avons vu des têtes de collègues émerger des fenêtres d'où les extincteurs avaient craché : c'étiat le signe que l'occupation avait cessé. De fait, le tampon d'une trentaine de personnes qui bloquaient la porte principale menant au Hall B, devaient compter dorénavant avec des personnes hostiles non seulement devant eux, mais également derrière. Malgré eux, les autres bâtiments se sont ouverts à 9h30 et la vie a repris sur le campus. Après avoir tenté vainement de discuter plusieurs fois avec des étudiants bloqueurs dont un m'accusait en tant que salarié de perdre ma vie à la gagner j'ai préféré quitter les lieux et retourner dans ma bibliothèque de section qui venait de réouvrir.
Le temps des discussions n'est pas encore revenu, nous travaillons actuellement à Rennes 2 dans un climat de tension et d'affrontement verbal, bien conscients que ce qui s'est passé ce matin, devrait en toute logique se passer de nouveau cet après-midi, au retour de la manifestation, ou demain à la réouverture des bâtiments.
Post scriptum
Finalement, c'était cet après-midi. anticipant le retour des étudiants de leur manifestation, le service patrimoine a fait fermer les salles de cours et bibliothèques de section et a procédé -plus vite qu'hier- à l'évacuation des locaux. Demain nous sommes censés rouvrir, comme nous l'avons fait aujourd'hui. Combien de temps cela va t-il encore durer ?