Et votre papa, que fait-il dans la vie ?
Entendu dans une émission sur les psychologues à l'Université :
"et votre papa, que fait-il dans la vie ?", demande un praticien à un étudiant en master des Sciences de l'Information.
Entendu dans le cabinet de mon médecin attitré :
"Et votre maman, est-ce qu'elle enseigne toujours au lycée X ?"
Toute personne qui me parle de ma maman ou de mon papa, ignorant que j'ai un père et une mère, comme tout le monde, devient instantanément ma nounou. Tant qu'à être cuculisé, jouons le jeu jusqu'au bout et répondons au premier :-"mon papa, il me donne des sucettes et conduit une grosse voiture" et au second "ma maman elle travaille à l'école où y'a que des grands". Et avant de partir, demander à aller au cabinet pour ne pas risquer de faire dans sa culotte.
On dira : ce n'est pas grand chose tout de même que d'utiliser les termes que l'on utilise soi-même pour appeler ceux qui nous ont mis au monde ; mais c'est justement ça qui est choquant. Le galvaudage de ces termes de "papa" et "maman" conduisent à me priver d'une familiarité avec les personnes concernées en l'étendant au monde entier. Et surtout, ça en dit long sur la société dans laquelle nous vivons, une société où, comme le dit Richard Sennett, les catégories politiques ou fonctionnelles s'effacent au profit d'une fausse intimité. Le psychologique et l'affectif étouffe le fonctionnel. Un papa, c'est quelqu'un qui n'est tel qu'avec ses enfants ; un père a des prérogatives et des devoirs qui sont régis par l'article 334 du code civil ; il n'y a pas longtemps encore, c'était l'origine du nom que nous portions. C'est l'homme dont nous devons hériter à la fois du matériel (le patri-moine) et de l'immatériel (l'éthique). L'usage à tout-va des termes "papa" et "maman" entérinent la faillite des rôles qu'occupent le père et la mère dans la société. Le tutoiement généralisé doit venir à bout de ces fonctions dépassées ; comme dit Alain Finkielkraut, dans l'Imparfait du présent, la maman est l'avenir de l'homme.