toujours à la recherche d'un art breton

Publié le par Damien

Nous sommes toujours à la recherche d'un art breton, à supposer qu'une telle chose existe aujourd'hui.

Si quelqu'un connaît un créateur qui revendique l'une ou plusieurs de ces conditions :

1. Une qualité de ciel et de paysage comme source d'inspiration

2. Une volonté de redonner vie aux formes plastiques traditionnelles de Bretagne, sans tomber dans le piège des symboles.

3. Une interprétation personnelle à l'usage de tous (Bretons ou non) des mythes et des légendes celtiques

4. Un intérêt pour les conditions sociales de la Bretagne d'aujourd'hui et la volonté d'en donner une traduction esthétique.

et qu'en plus de cette -ou de ces- conditions, ce créateur se soit lancé dans une démarche théorique, qu'on nous prévienne immédiatement !

Sans doute un art breton "estampillé" n'est pas aisé à définir, ni à trouver. Mais des artistes bretons, on ne doit pas en manquer. Ces artistes auraient-il queleque chose en commun ?

En tout cas, faire valoir un art péninsulaire (la Bretagne n'est que le cap de l'Europe qui est le cap de l'Eurasie), ça permettrait de ne pas laisser aux marques le soin de définir ce que les Bretons doivent penser de leur pays. (eh oui, je vais encore reparler d' "A l'aise Breizh")

L'art dont la Bretagne est le sujet a la fâcheuse caractéristique de ne pas émouvoir les Bretons et cela depuis le XIXème siècle : "la sanglante ironie qui consistait à baptiser art breton une production étrangère à la Bretagne, puisqu'elle s'inspirait de quelque chose que le Breton authentique ne voyait pas : son propre pittoresque et son exotisme. ", c'est Olivier Mordrel qui a écrit cela au début du XXème siècle, Olivier Mordrel que sa quête d'identité bretonne a mené vers le fascisme et qui n'en est pas moins l'inventaire du Gwen-ha-du (Le Stars and Stripes à la mode Renaissance).  Pouvons-nous définir aujourd'hui un art breton auquel les Bretons eux-mêmes adhèrent c'est-à-dire sans abuser de la couleur locale ?

L'époque semble avoir répondu Non, définitivement Non ; c'est pourquoi la Bretagne ne sera plus objet d'art, mais sujet de logos. Comme l'humour est devenu le ton communicationnel incontournable (cf. les émoticones sur Internet, cf aussi ce que Gilles Lipovetski avait déjà dit à ce sujet dans L'ère du vide : les signes de l'humour se multiplient à mesure que la rigolade festive disparaît), ces logos seront humoristiques ; ils seront cools et même carrément délire (grave !).

C'est sans doute parce qu'à 16 ans, j'étais déjà un vieux con et qu'Alphonse Allais me faisait encore rire à 18 que je n'arrive pas à "délirer" sur ces bigoudènes en skate-board.

Ainsi les signes (et le Kitsch) envahissent le champ délaissé par l'art ; il en va de même partout. Les peintres s'en sont allés ou tentent de se mettre à la page pour survivre, tandis que l'industrie des loisirs nous fourgue sans relâche et sans vergogne sa verroterie et ses étiquettes stupides. En ce qui me concerne, je me sens devant les figurines d' A l'aise Breizh, comme le Sénégalais d'aujourd'hui doit se trouver devant le portrait (récemment prohibé) de son ancètre zouave qui se marre par ce qu'il boit du banania. La firme qui affiche deux millions d'euros de chiffre d'affaires en 2006-2007 vient d'ouvrir un neuvième magasin à Lannion (Ouest France 31 mars). Voici comment son patron définit son style : "Nous travaillons dans l'humour délirant. Nos produits sont très cadeau et on évolue dans la déconne". Evidemment, voir passer sur un t-shirt une gueule d'adjudant en colère surmontée d'une coiffe en dentelle, c'est à se taper le cul par terre sur l'air de Tri Martolod ! Erwan Creac'h prétend "croquer le travers des Bretons". Nul doute qu'ici, il vise le fameux matriarcat breton dont Anne Guilloux vient tout juste de prouver l'inexistence (cf. Pour en finir avec le matriarcat breton : essai sur la condition féminine, Morlaix : Skol Vreizh, 2007). Vous aurez beau montrer par A+B que la survalorisation de la mère dans une Bretagne galvanisée par le culte marial n'entraîne pas nécessairement une plus grande liberté, et à fortiori un plus grand pouvoir pour les femmes (au contraire...) il y aura toujours des marchands de clichés pour vous faire croire qu'en Bretagne, la mère est non seulement libérée de tout temps mais en plus qu'elle mène son mari par le nez. Ainsi sous des apparences révolutionnaires et libertaires (la "déconne"), le design de ces "créateurs" nie la réalité historique et sociologique de notre région.

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Détournons-nous de ces "délires" qui nous donnent la nausée pour prendre un peu d'air et regarder un moment le travail qu'Anaïs Meunier poursuit sur l'affichage et dont elle rend compte dans les articles de son blog (Pikechu). Il ne s'agit pas là d'art mais encore de design, seulement là où à L'aise Breizh défigure la bretonnité, Anaïs la questionne en mettant en avant la langue bretonne. Ainsi des T.shirts circulent dans les rues de Rennes sur lesquels on peut lire des devises en breton avec la traduction. Dans certains cas ces devises sont des traductions littérales de phrases bretonnes qui forcément étonnent et incitent les gens à se parler pour connaître le fin de mot de l'histoire. Ainsi quelques T.Shirt ont été imprimés avec une phrase bretonne "An den a gomzen dit diwar e benn" (l'homme dont je te parlais) traduite en français à la lettre, ce qui donne : L'homme je parlais à toi sur sa tête. Peut-être cette phrase ne fera t-elle sourire que les néo-bretonnants, ces Français de Bretagne et d'ailleurs qui ont choisi de retrouver la langue du pays où ils travaillent et qui se débattent avec une grammaire qui leur paraît souvent assez abstraite ; mais le propos n'est pas de faire rire, le but est d'interroger : qu'est-ce qu'être breton aujourd'hui ? C'est donc une question et non le traditionnel prénom du destinataire que l'on verra sur la fameuse bolée de céramique conçue par Anaïs : Piv out ? Qui es-tu ? Qui es-tu toi qui achètes ce bol que l'on vend dans toute la Bretagne en guise de "souvenir" ? Voilà au moins quelque chose qui nous fera avancer et non reculer dans la redécouverte de nos racines...

Publié dans Bretagne

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