le catharisme aujourd'hui

château de Roquefixade. Yann et moi sommes partis de Foix à 8h00 du matin et après une montée assez éprouvante jusqu'à un col où nous avons pu contempler la silhouette de Montségur sur son Pog. En redescendant doucement, nous sommes arrivés au bas du nid d'aigle où culmine le château de Roquefixade, vers les 13h00. L'étape comporte 18 km. Il faut marcher 17 km de plus (avec des dénivelés un peu moins forts) pour arriver à Montségur.
D'une ville aujourd'hui coupée en deux par le passage de centaines de maillots multicolores montés sur des bicyclettes, et dans l'attente de mon vieux copain qui doit poursuivre avec moi la voix jacquaire jusqu'à Moissac, je voudrais écrire quelques mots de synthèse sur la randonnée de quatre jours que Yann et moi avons faite dans le pays cathare (sur le GR 7).
Du côté de Roquefort de Corbières, Yann et moi avons rencontré, sinon un authentique cathare, du moins un professeur de mathématiques à la retraite qui se proclamait tel et qui marchait en direction de Montségur. A la suite de notre échange et de ceux que nous avons eus avec nos hôtes de Montségur (échanges que je n'aurai pas le temps de retranscrire), je souhaite ici faire le constat que si la religion des bonshommes a bel et bien disparu, le catharisme et son histoire douloureuse inspire encore bien des gens dans ce pays.
1. Le dualisme
C'est le dualisme inhérent à la religion cathare que les procès inquisitoriaux ont le plus monté en épingle. Il est vrai que le catharisme peut fort bien provenir de l'impossibilité de concevoir que Dieu en tant qu'auteur du monde soit aussi auteur du mal inhérent au monde, au non de Sa bonté sans limites.
Je me souviens avoir lu à la fin du livre de Saramago, l'Evangile selon Jésus, une scène surréelle dans laquelle, le Diable assis dans la barque de Jésus sur le lac Tibériade prie Dieu (également présent aux côtés du protagoniste, un homme appelé Jésus) de lui accorder sa réintégration dans le choeur des anges. Ainsi le mal disparaîtrait de la surface de la Terre. Dieu refuse au motif que sans le Diable, il n'est rien : "pour que la Lumière soit, il faut qu'il y ait de l'ombre !" Telle est la limite de tout manichéisme : considérer le mal comme une substance et non comme une privation de substance revient à attacher Dieu "pieds et poings liés" au dos de son contraire diabolique dans une lutte perpétuelle. Or si cette vision psychomachique avait du succès au Moyen-âge (y compris au sein de l'orthodoxie , cf. la popularité du motif représentant la lutte de l'archange Gabriel contre les dragons), cette perspective a beaucoup décliné à l'époque moderne. Les chrétiens d'aujourd'hui en effet ne se sentent plus comme Job le terrain de jeu où s'affrontent Dieu et Satan, mais se trouvent plus ou moins proches de Dieu, plus ou moins proches de la Lumière.
Cet aspect du catharisme est largement tombé en désuétude, et l'on a raison de dire que les idées meurent comme les hommes car je ne vois pas qui aujourd'hui dans un contexte pareil pourrait bien ressusciter celle -ci.
Le dualisme cathare pour lequel j'ai une profonde aversion -pas au point certes de brûler des gens- sépare le corps et l'esprit. Le premier est créé par le Père des Ténèbres, le second procède et retourne à Dieu. De même, l'Eternité appartient à Celui-ci, tandis que le temps serait la création de Celui-là. Le temps d'ailleurs n'apparaît plus que comme une contrefaçon de l'Eternité, et plus généralement le monde n'est pas davantage qu'une fiction inventée par un "mauvais génie", pour reprendre l'expression de Descartes. Cette idée du temps comme imitation mobile de l'Eternité apparaissait déjà dans le Timée de Platon, ce qui atténue un peu l'argument que j'exposais plus haut selon lequel une idée peut mourir sans être recyclée.
Ce dénigrement du monde et la déconnexion du Temps de L'Eternité me heurtent particulièrement. Pourtant quand j'ai exposé aux sympathisants cathares que nous avons rencontrés la contradiction qu'il y a à prétendre que le monde est mauvais parce que non substantiel et par ailleurs à vanter tous les mérites de ce beau pays dans lequel l'Eglise cathare s'est établie, je n'ai obtenu aucune réponse pertinente.
Par ailleurs, le catharisme a insisté sur la personne divine de Jésus, alors qu'aujourd'hui, les croyants tentent plutôt d'humaniser la personne du Christ. Le Moyen-âge allait déjà dans ce sens, ce qui fait que si les Parfaits n'avaient pas été pourchassés et brûlés jusqu'au dernier avec une hargne peu commune, leur croyance serait sans doute tombée en désuétude peu de temps après
A quoi tient donc le succès paradoxal des études cathares aujourd'hui, succès dont la transposition touristique aujourd'hui se fait sans aucun mal, comme Yann et moi-même avons pu nous rendre compte en visitant les forteresses de Roquefixade et Montségur ?
2. la critique de l'Eglise comme pouvoir temporel
Ce qui imprègne le "discours cathare", celui des Bonshommes d'aujourd'hui, comme celui des savants (les livres d'Anne Brenon que j'ai consultés à la médiathèque de Cahors en témoignent), c'est un refus de l'Eglise pontificale en tant qu'Institution mêlant le temporel et le spirituel. Et la part la plus intéressante du catharisme réside bien là, dans cette critique radicale de l'Eglise qui "écorche et qui possède", pour reprendre les termes de Peyre Authier, brûlé à Toulouse en 1309.
En effet, qu'est-ce qui plaide encore aujourd'hui pour le maintien du Vatican, dernier bastion des vastes états pontificaux du XXème siècle ? L'indépendance à l'égard des princes ne se fait plus par la possession de la terre, mais par la communication d'un message. L'eglise des cathares n'avait pas besoin de fortunes pour exister de façon structurée. Ses évéchés étaient visibles dans les esprits mais absents des cadastres. Plus encore que le protestantisme qui lui fut de peu postérieur, la religion des bonshommes est un argument en faveur de la dépossession de l'Eglise au profit de la spiritualité de son message.
Le cathare que nous avons rencontré a donné une version contemporaine de ce thème en présentant le Vatican comme une multinationale. Cette interprétation va trop loin et mèle à la critique de l'Eglise possédante que j'ai exposée plus haut les éléments d'une théorie du complot. En effet des ouvrages comme le Da Vinci Code ont renforcé chez leurs lecteurs l'opinion selon laquelle l'Eglise s'est dotée de sa propre mafia et emploie des agents déguisés en civils (en général, c'est à l'Opus Dei que l'on fait référence). Cette aversion pleine de fascination pour les arcanes de l'Eglise profite donc autant au catharisme que le prestige des victimes.
C'est ainsi du moins que j'explique la sympathie que le souvenir des Parfaits suscite non seulement chez les Ariégeois mais également chez les touristes de passage qui ont le désir de s'informer un petit peu sur les pays qu'ils traversent.