L'Etudiant et la Révolte

Publié le par Damien

                     un étudiant contestataire est traduit de force devant le tribunal de Punishment Park

« Moi, au départ, je ne suis pas pour la violence, c’est le système qui est violent ; Si je veux me défendre contre le système, je suis obligé d’être violent ; les gens qui défendent le système on les appelle le service d’ordre. Moi, je peux dire tout ce que je veux tant que je reste dans mon université, mais quand j’aurai fini mes études, quand j’aurai un travail, le système pourra m’utiliser à plein et c’est pourquoi il faut que je change le système avant qu’il ne m’utilise ».

 

 

 

C’est ainsi que parle l’étudiant français que Peter Watkins met en scène dans son film The gladiators (cf. notice imdb : http://www.imdb.com/title/tt0064371/). Ce film date de 1968 et comporte de nombreuses allusions au mois de mai.

Dans le discours du jeune insoumis, le « système » fait référence d’une part à la situation fictive et fantasmatique dans laquelle est plongée le spectateur : les puissances du monde, pour éviter une troisième guerre mondiale organisent chaque année des combats de gladiateurs à l’arme automatique dans un espace de quelques hectares. Ces combats télédiffusés sont censés drainer les passions belliqueuses des peuples dans un contexte de guerre froide. Parmi l’équipe des alliés que constituent de jeunes recrues venues d’Allemagne de l’Ouest, de Grande Bretagne, des Etats-Unis et du Sud Viet-nâm s’est glissé un étudiant français qui ne porte ni arme ni treillis mais cherche à saboter le jeu et la machine qui l’organise (Icarus). D’autre part, le système fait évidemment référence à la critique marxiste du régime capitaliste telle qu’elle s’est répandue sur les campus universitaires au début des années 70. Le « peace game » est donc pour Watkins l’allégorie d’une société où convergent les intérêts du complexe militaro-industriel, la course au profit[1] et l’ignorance des masses gavées de télé-réalité (déjà !)

Face à cet étudiant déterminé à remplacer ce logiciel corrompu par un système plus équitable (mais qui n’en reste pas moins un système), un GI (government issue[2]) avoue ne pas très bien savoir pourquoi il doit se battre contre une escouade de soldats chinois fanatiques du petit livre rouge. Interrogé par le narrateur à la manière d’une interview, il répond : si je joue bien, l’Etat s’occupera de moi et me donnera un travail à mon retour (déjà la hantise de trouver un emploi !).

Le film de Watkins critique aussi bien les idéologies de droite que de gauche. S’il fait preuve de manichéisme, celui-ci ne tourne pas forcément en faveur de l’étudiant français qui finit par tuer un homme et sert la machine contre son gré. Les personnages valorisés sont au contraire des combattants qui se laissent prendre par leur « humanité foncière[3] » : en effet, un soldat britannique et une garde rouge trahissent leurs camps respectifs et tentent de s’échapper ensemble du jeu. Ils sont assassinés pour collaboration avec l’ennemi par une compagnie républicaine de sécurité. Watkins promeut donc le refus de l’embrigadement et la fuite hors des idéologies en même temps que la prise de conscience individuelle que nous sommes tous manipulés. On ne remplace pas un système par un système, quand bien même le second nous semblerait plus humain.

 

 

 

Pour un étudiant, la société est d’une complexité incroyable. Mais c’est à l’université que pour la première fois on vous donne les armes idéologiques qui vous permettent de la simplifier, et cela en vous donnant l’illusion avantageuse d’être à même de la critiquer. Le marxisme, par exemple, est un outil de simplification extrêmement productif, quand bien même Le Capital est un ouvrage difficile à lire. Du reste, combien de marxistes l’ont lu ?

J’ai également cédé pendant un temps à l’esprit de système avant de me défier systématiquement de ces grandes constructions idéologiques.

Pendant que Watkins réalisait son film en Suède, Kenneth White à Pau depuis la chaire de son Séminaire de la Montagne Froide répondait facétieusement à des étudiants qui citaient le petit livre rouge : « Pas Mao, le Tao ! ». Le Tao, en chinois, c’est la voie ; à l’université chacun doit trouver la sienne en renvoyant dos à dos les systématiques et les dogmatiques de tous bords qui sont toujours prêts à armer votre colère contre leurs cibles.



[1] Le jeu, organisé sous les auspices de la nation suédoise et de l’ONU, est sponsorisé par une marque de spaghettis.

[2] « Produit du gouvernement ». Tu te bats aujourd’hui, tu auras le droit de faire des études et d’avoir un boulot demain.

[3] « Basic humanity, that’s all what is wrong with that guy » critique le général de l’armée britannique qui coordonne les manœuvre de l’équipe alliée derrière l’écran de contrôle.

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Publié dans université

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