être Français, c'est prendre autre chose en considération que la France

Publié le par Damien

On reparle dans ce débat présidentiel de la légitimité de lier la notion d'« identité nationale »à celle d'immigration. Reste à définir ce que cette identité nationale peut-être en dehors du pacte républicain. On a vu récemment Nicolas Sarkozy dresser un kaléidoscope historique de la France immortelle où l'incohérence le disputait à l'imprécision. A gauche comme à droite la mémoire (forcément partisane en ces temps de présidentielles) est en train de dire à l?Histoire : « ôte-toi de là que je m'y mette ». L'idée de définir une nation française contextuelle au lieu de préciser les règles qui doivent régir notre vie en commun est dangereuse parce qu'au lieu de nous sentir responsable d'un héritage divers (la France a vu plusieurs nations vivre et mourir sur son sol), elle nous enrôle dans une espèce d'élite qui se croit par-dessus le marché gardienne d'une citadelle assiégée.

 

 

 

La nation (de nascor : naître) fait référence à un berceau commun introuvable ; la seule chose qui ait un peu de réalité n'est pas cette appartenance fictive mais le projet que les Français manifestent de vivre ensemble en combattant avec les armes de la démocratie les sectarismes et les communautarismes. Etre Français, c'est donc sur un sol donné (la France), faire advenir un ordre universel ; être Français, disait Gombrowicz, l'auteur de Ferdydurke, c'est aussi « prendre en considération autre chose que la France ». Cela est en fait donné à tous les peuples qui par la culture s'affranchissent de leur nationalisme ; l'idée à l'origine est peut-être française, mais son succès à l'extérieur de nos frontières (cf. Les droits de l'homme) est le signe que cette exigence est avant tout humaine.

Il n'est donc pas nécessaire d'être Français pour dénoncer la sujétion du sexe féminin (voile, excision, mariage forcé, etc) dans certaines communautés musulmanes ou africaines de France, ou même chez cette « élite » hexagonale qui fomente une nouvelle identité pour se débarrasser de "corps étrangers", il suffit pour cela de se considérer comme un humain honteux (« L'homme se distingue des autres animaux surtout en ceci : il est le seul qui maltraite sa femelle, méfait dont ni les loups ni les lâches coyotes ne se rendent coupables, ni même le chien dégénéré par la domestication. », Jack London). La saloperie est internationale et invalide de ce fait la notion même de nationalisme ou de patriotisme.

 

 

 

 

 

 

Il n'y avait pas de vent ce jour pesant de juillet où nous célébrons solennellement notre orgueil national, dix jours après les Américains. Dans le petit cimetière d'Olsztyn (Mazurie) où reposaient quelques aviateurs de l?escadrille Normandie-Niemen tombés au combat, nous nous tenions debout devant des vétérans couverts de médailles. Nous étions tous jeunes enseignants du primaire et du secondaire venus enseigner le Français pendant un mois à des lycéens originaires des quatre coins de la Pologne. Un ancien aviateur arborait un drapeau polonais, un autre le drapeau européen, un troisième notre trichromie qui a inspiré à Monet un tableau urbain baigné de lumière estivale :

 Quelqu'un avait placé une chaîne stéréo non loin du marbre des tombes. Après les premières mesures de l'hymne polonais, nos élèves ont entonné comme un seul homme un chant qu'ils avaient tous appris à l'école. Quand les douze étoiles ont été hissées et qu'a retenti à son tour l'hymne de Schiller, je me suis tourné à droite puis à gauche pour tenter de voir si mes camarades alignés se préparaient à chanter le premier couplet de la Marseillaise ; nous en avions parlé la veille : chantera ? chantera pas ? Il y avait quelques esprits anarchistes parmi nous. Nous ne voulions pas avoir à nous justifier ; mais nous avons chanté ce chant avec tant de mauvaise volonté que nous avons dû quand même nous expliquer auprès de nos élèves quelques jours plus tard ; je n'ai rien trouvé à dire pour ma part que ceci : pourquoi me vanterais-je d'appartenir à un peuple qui a porté un leader antisémite et négationniste au deuxième tour des présidentielles comme cela était arrivé quelques mois plus tôt ? Aujourd'hui, je dirais les choses autrement : la Marseillaise est un "lieu de mémoire" où je me sens comme en prison. Je la supporte en reggae, et encore. Je propose de la remplacer dans nos pompes nationales et à la fin de nos meetings politiques par cet autre chant qui me semble bien préférable : « c'est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau hisse et haut, dix-huit noeuds, quatre cents tonneaux, je suis fier d'y être matelot !» Découvrir le monde à la voile ou à pied, voilà pour ce qui pour un Français peut revêtir l'importance d' une cause nationale de tout premier plan.

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Publié dans politique

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S
Pour remplacer La Marseillaise je propose plutôt Le Chant des partisans, "qui fut le chant du malheur" selon Malraux.
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