A l'aise feizh ha breizh ?
Feiz ha breiz (Foi et Bretagne) : slogan qui définissait autrefois aux yeux de certains intellectuels réactionnaires la spécificité bretonne.
Je voudrais rappeler à mes hypothétiques lecteurs deux vérités auxquelles je crois très fort et qui se font oublier chaque jour un peu plus :
1. On 'est pas obligé de croire en Jésus, Allah, Bouddha, Krishna, Zidane, le loto...
Pour reprendre le titre du dernier ouvrage de Jacques Bouveresse : "peut-on ne pas croire ?", la réponse est évidemment (évidemment pour moi, en tout cas) : oui. Or chez nous la laïcité entendue comme espace dépourvu de références religieuses a tendance à se confondre dans l'esprit de bien des gens avec un espace où les religions coexisteraient tranquillement. Dans cet espace, il est de plus en plus difficile de se dire athée par un curieux et récent renversement des valeurs. Les agnostiques et les Athées ne peuvent même plus se justifier en montrant les insuffisances qu'ont à leurs yeux les religions que de plus en plus de gens trouvent nécessaires, sans bien sûr les pratiquer. Il en va, nous dit-on du consensus social : Comment !? le foot et le loto ne suffisent plus pour tenir un peuple, il faudrait encore faire appel à Dieu ou à Yahwé ?
Un récent sondage de Pèlerin Magazine montre que 8 Français sur 10 jugent "inacceptable de critiquer les religions". Il n'y a certainement pas parmi ces Français 8 croyants sur 10. Qu'est-ce que ça veut dire ? cela signifie tout simplement qu'une fausse tolérance (relativisme et indifférence aux autres) confine aujourd'hui avec l'accusation de ceux qui osent critiquer ou caricaturer des phénomènes religieux. A ce titre, un procès intenté par certaines associations musulmanes à l'hebdomadaire Charlie-Hebdo parce que ce dernier a diffusé à l'hiver dernier les fameuses caricatures danoises vaut sans doute mieux que des permanences de journaux brulées et des journalistes lapidés. Merci, messieurs les terroristes en nous épargner et d'employer contre la justice les formes qu'elle met à votre disposition. Ce procès a quand même quelque chose de piteux : au terme d'une procédure pénale, nous pourrions en venir à condamner un principe essentiel à la démocratie, la liberté de la presse. Notre héritage spirituel et intellectuel nous porte en France à séparer la religion de l'Etat ; pas de République sans cela. "Les religions ne sont pas criticables" : que plus des trois quart de la population de mon pays pense cela manifeste que nous traversons une crise de la conscience ; ce que ces gens devraient dire, au contraire, si l'école -à laquelle j'ai travaillé- avait su propager les valeurs de liberté qui fondent notre vie commune, c'est -chacun avec sa syntaxe et ses mots- l'idée de Voltaire qui est au principe de la Vraie tolérance : "Monsieur, vous proférez des bêtises énormes mais je me battrai jusqu'à la mort pour qu'on les laisse à dire."
2. On n'est pas non plus un être gravement psychotique si l'on n'éprouve pas d'attachement viscéral à sa région.
J'assistais avant-hier au rapport de l'association Bretagne Prospective qui oeuvre comme un think tank auprès des entrepreneurs bretons afin de promouvoir la langue et la culture bretonne. La soirée avait lieu à la ferme de La Harpe qui héberge le Cercle Celtique dont je suis membre. Le travail de conseil déployé par cette association est considérable. Bretagne Prospective s'emploie à convaincre les producteurs et les vendeurs que l'usage de la langue sur les produits et dans la communication interne et la publicité est un argument de vente rentable. Je ne suis pas contre. Il m'est quand même apparu de plus en plus au cours de cette soirée, que ce qui distinguait les acteurs économiques de Bretagne et les acteurs économiques d'autres régions n'était qu'un intérêt, d'ailleurs bien souvent stratégique, porté à cette langue celtique (exotique parce que celtique).
En vivant trois mois à Montréal, je me suis rendu compte que bien des gens ne concevait un Québec indépendant qu'à la condition qu'en plus de la sauvegarde de la langue (loi 101 menacée par de nombreuses exceptions aujourd'hui) le pays s'orientait vers une politique économique distincte de celle d'Ottawa et de Wahington faisant un compromis acceptable entre mondialisation, environnement et culture. Les Bretons, bien sûr, n'ont pas devant eux une telle marge de manoeuvre, cela dit, ils savent concevoir des modèles d'organisation qui leur sont propres. Pourquoi ne pas rêver à une région dans laquelle, davantage que dans d'autres, les bâtiments industriels et publics seraient construits systématiquement en respectant les normes HQE (haute qualité environnementale), une région dans laquelle les entreprises signeraient systématiquement les chartes de développement durable qui ont déjà cours dans les pays anglo-saxons, une région enfin ou le tissu coopératif (les SCOP) serait plus dense qu'ailleurs ? Voilà ce que j'ai tâché d'expliquer à la rapporteuse de l'association. J'ai ajouté que ça ne m'intéressait pas de voir écrit en breton sur un panneau planté au bord d'une rivière : "défense de puiser de l'eau, elle est nitratée" ; ou de lire sur une pancarte en breton à l'entrée d'une usine : "fermée pour cause de délocalisation".
J'ajoute aujourd'hui que rendre le breton visible est une chose, le rendre audible, c'en est une autre, non moins nécessaire. Le cas de Rennes est très intéressant : on n'y a jamais parlé le breton mais la langue s'affiche un peu partout, ce qui peut être effectivement une incitation à l'apprendre. Le fait que le breton soit de plus en plus visible et de moins en moins parlé permet d'ailleurs, grâce à la réforme orthographique de passer sous silence la diversité des dialectes qui sont pratiqués en Bretagne. Mais l'authenticité des marquages en breton, qui est censée décider le consommateur à acheter un pâté Hénaff plutôt qu'un autre, en prend un sacré coup. Que vont penser en effet les producteurs celtisants de la région de Vannes, lorsqu'ils vont voir leurs produits commercialisés sur le marché avec des affichages en KLT ? Produit de la ferme ? De l'ofis ar brezhoneg, plutôt...
Bretagne Prospective semble trouver très intéressant de multiplier le branding tous azimuts. Pas moi. Si la celtitude passe par la confection de breizh cola, ça ne m'intéresse pas. J'y vois au contraire, un simple phénomène de glocalisation (stratégie globale de marketing visant à dériver des produits au départ uniformes pour conquérir de nouveaux marchés. ex : le hamburger aux suchis). "Breizh", n'est pas une marque déposée, heureusement en un sens, car la Bretagne appartient à tout le monde ; malheureusement d'un autre côté, car cela la met à la merci des faussaires et des marcantis. N'importe qui, en effet, peut s'emparer du mot et manager depuis son bureau parisien sa petite entreprise pseudo-celtique (cf. le cas récent de Breizh Mobile).
La culture bretonne n'est pas cool
Pour parodier un titre de Falardeau, la Bretagne n'est donc pas une marque de yaourt, et il serait temps que le conseil régional en prenne conscience. A quoi sert dès lors de multiplier chez nous les ersatz de culture mondialisée. Le slogan "A l'aise Breizh" n'est qu'une variation de "cool, Raoûl" et un leitmotiv de la "cool attitude" que promeuvent ensemble (et non sans une certaine contradiction) Nike et Macdo. La rapporteuse m'objectait que ça plaît aux jeunes ; les jeunes qui lisent Naomi Klein et se méfient des marques sont aussi de plus en plus nombreux ; On ne peut pas dissocier la langue et la culture, comme l'ont rappelé les membres de Bretagne Prospective. Certes, on ne peut donc pas à des signifiés de la culture anglo-saxonne systématiquement et pour le principe attribuer des signifiants bretons. Qu'est-ce que ça nous apporte de traduire design en "dizagn" ?
on ne peut pas à la fois dénoncer le paternalisme et le jacobinisme des auteurs de Bécassine et trouver génial le personnage de Mamm Gozh qui personnifie une Bretagne matriarcale roulant sur d'antiques vélosolex pour tancer des marins d'eau douce qui carburent au gwin ruz (vin rouge). On ne peut pas davantage promouvoir la diversité sur le plan de la langue en pratiquant partout un affichage bilingue et en même temps utiliser les leviers d'une économie qui démantèle les cultures locales...
Je serais injuste avec Bretagne Prospective si je ne rappelais pas que l'association met également en rapport des collèges Diwan et des centres d'apprentis en métiers du bâtiment (par exemple). On a remarqué en effet, que la connaissance de la langue bretonne pouvait aider un maçon à mieux restaurer une maison traditionnelle, ce qui semble logique. Mais je vais cesser mes critiques à l'encontre des propos que j'ai entendus hier pour citer quelques lignes de Françoise Morvan qui montrent justement comment un certain régionalisme, qui n'est pas le mien, en voulant promouvoir la langue et la culture bretonnes tend des perches à l'ultra-libéralisme au mépris de ce qu'il prétend défendre. En effet, il n'est pas anodin, comme le remarque F. Morvan que Patrick Le Lay ait trouvé comme partenaires pour lancer TV Breizh trois représentants éminents du capitalisme mondialisé en la personne de François Pinault, Rupert Murdoch et Silvio Berlusconi :
"Se pose aussitôt la question : pourquoi ce quattuor de tycoons s'est-il embarqué sur une goëlette battant pavillon Gwenn ha du ? Réponse : il a compris que la quête identitaire, loin de s'opposer à la mondialisation, en est, au contraire, l'enfant légitime, le compagnon naturel." (Le Monde comme si, Actes Sud, 2002, p 253.
Conclusion : feizh ha breizh = malaise
C'est précisément au moment, où, après avoir été malmenés par les savants, les dogmatiques envoient des livres créationnistes à nos établissements scolaires et se parent de leur bonne "foi" devant les Tribunaux pour faire taire les voix discordantes que je sens ma propre façon de croire mise en danger et que je clame aussi haut que possible : on peut vivre sans croire en Dieu !
C'est au moment, où les meilleures volontés s'allient avec les financiers et les marqueteurs pour reconstruire une Bretagne de carton-pâte et engranger les bénéfices d'une culture confisquée par le business que mon amour de la Bretagne se hérisse et me fait dire sur le même ton : on peut vivre sans attache à une région particulière, et lorsqu'on apprend une langue, on n'est pas obligé pour autant de se couvrir de logos.
Notre identité transcende la croyance ou la non-croyance autant que la terre dont nous avons hérité à notre naissance ; elle est le produit de notre réflexion et de notre sensibilité qui doivent mettre en forme cet héritage. Loin d'être communautaire ou ravalée à un produit d'emprunt, l'identité de chacun est d'abord et avant tout une aventure individuelle.