voeux 2008 + Kellermann + pêcheurs et paysans
jeûne des paysans à Saint-Brieuc contre la réforme de la PAC, septembre 2006

L’incipit d’un roman est la première phrase par laquelle commence le récit. Je n’en connais pas de plus beau que celui d’un ouvrage de Bernhard Kellermann intitulé (on ne peut plus sobrement) « La Mer ». L’auteur a écrit cette chronique d’un amour insulaire en 1910, trois ans après son séjour à Ouessant.
Nous vivons l’incipit de 2008 et je souhaiterais que la nouvelle année se déroule pour moi (et pour toi lecteur ?) sous le signe de cette première phrase :
« NOUS AVIONS TOUT ce que le cœur peut désirer : nous avions des femmes à foison, nous avions à boire, nous avions des tempêtes qui tourbillonnaient à une vitesse de quatre-vingt nœuds ; nous n’avions besoin de rien : merci, passez votre chemin… »
A sa publication, la presse allemande parle de ce récit comme d’un « hymne à la nature dans le récit réaliste du combat pour l’existence d’un pêcheur breton ». La formule est bien trouvée pour décrire le livre, particulièrement dans son expression originale : Erzählung vom Daseinkampf bretonischer Fischer.
La profession de pêcheur, en Bretagne, comme ailleurs, est aujourd’hui autant soumise aux aleas des tempêtes du marché qu’aux vents tourbillonnant à plus de quatre-vingt noeuds, ce qui ne la rend pas moins précaire qu’il y a un siècle.
Le « Daseinkampf » reste d’actualité pour tous les producteurs, paysans et agriculteurs, qui pâtissent aujourd’hui du parasitage d’une foule d’intermédiaires et de la volonté largement répandue dans notre société de consommer n’importe quoi au prix le plus bas afin que l'argent aille de préférence à l'acquisition de la dernière play-station de chez Toshiba. Je salue les agriculteurs qui constituent en Bretagne la profession la plus exposée au suicide (13% des cas recensés en Bretagne) ; à tous, et en particulier à ceux qui tenaient l’année dernière des stands d’information contre l'orientation productiviste et favorable aux plantations à pesticides et herbicides prise par la commission européenne. Cette manifestation avait lieu devant la cathédrale de Saint-Brieuc, et elle a duré plusieurs mois. A ceux qui, après s'être relayés sous ces halles, sont retournés depuis lors à leurs champs, je dis : courage, tenez-bon. La société vous sera gré un jour de ne pas avoir abandonné.
Quant aux marins de Bretagne et d’hier qui appartiennent à la profession la plus exposée au accidents du travail (cf. rapport du parlement européen sur la pêche de 2001) et qui doivent aujourd’hui faire face à la montée des prix du pétrole, je leur prodigue ces mêmes encouragements, et en particulier à ceux qui vont pêcher dans les eaux de Saint-Quay où j’ai l’habitude de naviguer. Salut les gars ! Longue vie à la pêche en Bretagne et aux marins pêcheurs.
Bonne année 2007 à tous !
Damien
PS : Le roman « La mer », de Bernhard Kellermann a récemment été réédité par les éditions La Digitale, installées à Baye, dans le Finistère, et imprimé par des ouvriers typographes, qui d’après l’achevé d’imprimer, sont tous syndiqués à la CNT et refusent la démagogie du « travailler plus pour gagner plus ».
PS 2 : "les femmes à foison" qui ouvraient leur porte et leur lit au narrateur dans le livre de Kellermann sont évidemment des femmes de marins. Quel autre métier pouvait exercer un homme à Ouessant en 1907 ? Cette petite note peut servir à dissiper un malentendu : je ne veux pas avoir l'air de saluer une profession en difficulté tout en appelant à profiter des épouses que les représentants de cette profession sont contraints de laisser neuf à dix mois par an pour suivre les campagnes de pêche au long cours. Sur les rapports conjugaux et la manière pour les femmes de faire face à cette situation d'abandon relatif, je recommande particulièrement le livre d'Yvonne Guichard-Claudic (docteur en sociologie à l'UBO), "Eloignement conjugal et construction identitaire, le cas des femmes de marins" qui s'intéresse plus particulièrement aux thoniers de Concarneau et à leurs épouses.