La Volta

Pour les navigateurs portugais du début du XVIème siècle, partir vers le Sud et longer les côtes de l’Afrique en vue de les explorer ne posait guère de problèmes : il suffisait de se laisser porter par les alizés. En revanche, c’est le retour qui était difficile ; car les mêmes vents qui avaient accéléré la navigation à l’aller allaient la ralentir considérablement au retour. Les marins, pour rentrer chez eux, en étaient réduits à louvoyer au plus serré, et ils le firent jusqu’au jour où une flotille qui cabotait au large de la Guinée fut dispersée par une terrible tempête. Quelques bateaux dérivèrent très à l’Ouest de leur route, ce qui pouvait à première vue d’avérer un désastre pour leurs équipages : les côtes n’étant plus en vue, la navigation et le ravitaillement en étaient d’autant plus difficiles, pourtant ces marins perdus eurent la surprise d’arriver les premiers à bon port, bien avant les autres navires qui avaient pu se maintenir près des côtes. En effet, tandis que les premiers se laissaient porter par les vents du Nord-Est, les seconds perdirent beaucoup de temps en tirant des bords. Moralité : il fallait oser s’écarter des côtes et tracer une boucle (« volta » en portugais) jusqu’aux Açores pour réduire considérablement la durée du voyage.
La volta n’est pas seulement une technique de navigation, me disait Bruno P. ancien marin rochelais, aujourd’hui bibliothécaire à Saint Brieuc, c’est également une poétique :
Il faut prendre le large par rapport au réel pour mieux l’exprimer ; c’est même cela qu’on appelle la métaphore. Et en guise d’illustration, il me citait une phrase de Bachelard : « de purs jets d’eau brûlaient dans les jardins » dans laquelle le verbe manifeste le caractère paroxystique de la scène pour celui qui la contemple. Ce « brûlaient » est la volta qui permet au spectateur de s’abreuver directement au coeur de cette fontaine.
Il faut de la hardiesse pour oser la volta, mais quelle récompense on en retire !
Les vies euclidiennes dans lesquelles la droite est toujours le plus court chemin d’un point à un autre sont si plates et si laborieuses…
Merci, Bruno, pour ce conseil de navigation et cette leçon de style !