Histoire de la pomme (chapitre I)

Publié le par Damien

Chapitre I : développement de la pomme génétiquement modifiée

 

 

 

Il est 16h30 dans les couloirs de la Très Grande Biblothèque Nationale de France : les employés bloquent un instant leur poste individuel pour prendre une pause. Dans les distributeurs au fond de chaque couloir, ils achètent les pilules énergisantes qui les aideront à tenir jusqu’au soir. Comme certains travailleurs sont âgés, et proches de la retraite (c’est-à dire qu’ils ont 70-72 ans), on a pris soin de disposer pour eux dans les mêmes distributeurs des pommes bien rondes, bien lisses et bien brillantes, afin de soutenir leur moral en même temps que leur énergie ; en effet, il leur est agréable de se souvenir que dans leur jeunesse, ils pouvaient trouver ce genre de fruits ailleurs que dans les laboratoires kolkhoziens des grandes firmes alimentaires. Certains anciens disent même qu’ils pouvaient se rouler sur les pommes tombées à terre tant il y en avait à l'automne dans le jardin paternel. On l'a oublié aujourd'hui, mais la chose était possible avant que certaines mutations involontaires des pommes domestiques causées par la contamination des pommes d’élevage n’engendrent chez les consommateurs des premières certains effets désastreux (fragilité des dents et lividité du teint).

Bref, vers 2045, inspiré par un rapport de l’OMS, le Ministère de l’Agroalimentaire a interdit que l’on cultivât des pommes chez soi, en appliquant le principe de précaution. On pouvait néanmoins s’affranchir de cette règle en prouvant qu’on n’était pas dans un environnement dangereux pour la culture des pommes et en s’acquittant d’une caution (300 $ chinois) qui était reversée sous forme de primes au personnel des sites d’élevage. Mais cette prime n’est encore accessible qu’à une minorité de gens fortunés.

Quant aux pommes sauvages, on les mit dans une broyeuse pour faire avec la compote obtenue un composant de nos colles à bureaux. Ce qui rendait cette destruction non seulement rationnelle mais encore productive

Je rappelle pour ceux qui ne s’en souviennent pas les étapes du projet Juicy Apple (soutenu par Microsoft et Kellogs)

1. On étend dans un premier temps la Culture des OGM aux fruits (en premier lieu aux pommes). Le ministère propose un moratoire de principe, mais Bruxelles brandit la menace de faire payer des amendes à l’Etat Français s’il ne se conforme pas à l’édit européen.

2. Les deux firmes qui se disputent le marché, l’une indienne, l’autre américaine, embauchent de jeunes chercheurs français (l’INRA n’a plus les moyens de financer leurs recherches, l’EHESS déclare forfait et le CNRS met la clé sous la porte). Ceux-ci terminent brillamment leur thèse en agronomie, en économie ou en sociologie, qui à New Delhi, qui à New-York. Et c’est ainsi que se répandent à travers les médias et dans les cabinets ministériels les thèses de ces chercheurs sur le « développement des OGM comme prophilaxie aux pandémies du XXIème siècle », le « retour à l’âge magique : résurgences des doctrines cathares dans la contestation anti-OGM entre 1990 et 2015 » ou encore sur « la culture génétiquement modifiée : variante autogène dans l’ajustement des politiques économiques mondiales » (pour ne citer que les travaux qui ont été les plus décisifs dans la mise en oeuvre du projet.)

3. Les cultures modifiées modifient à leur tour les cultures domestiques ; on s’aperçoit que la contamination des dernières entraîne les désagréments indiqués plus haut.

4.  Le Ministère de la santé prévoit un plan santé qui implique l’interdiction d’avoir des cultures chez soi. (La même année devant la recrudescence des manifestations est autorisée la culture du haschich dans toute l’Europe ; la pomme à cause de son faible apport calorique et de son faible potentiel euphorique (sauf chez les nostalgiques) n’est pas un produit intéressant à développer dans une société de consommation et de croissance.

 

 

5.  La population alertée par ces avis successifs et quelques peu dramatisés (il faut bien que les journalistes du Net surmontent la crise engendrée par la blogosphère) décide d’elle-même de couper ses pommiers.

 

 

« Nous sommes dans un Etat libre, quand on vous interdit quelque chose, c’est pour votre bien, et d’ailleurs, il n’est même pas nécessaire de vous l’interdire, il suffit de faire croire que c’est mauvais pour vous ; nous avons les moyens pour cela. »

6.  Toutefois certains bourgeois, un peu bohèmes, résistent au mouvement général et obtiennent d’acheter sous certaines conditions (comme on l'a vu plus haut) le droit de garder leur pommier et de manger leurs pommes. Mais la plupart trouvent que c’est beaucoup plus tendance et plus nature, pour ne pas dire carrément hippie, de manger des yahourts à la pomme de chez Fruit Grocery (cf. dossier du Nouvel Observateur, 21 au 28 août 2026)

 

 

 

C’est ainsi qu'en France (et quelques années plus tard en Europe), les pommes ont disparu des campagnes pour grandir dans les laboratoires et n'être plus vendues que sous les néons. L'immense avantage de ces pommes, c'est qu'elles n'offensent plus nos dents fragilisées par l'excès de sucre et le manque de protéine : leur nature farineuse est une vertu dont je pense que les partenaires de Juicy Apple peuvent se réjouir, d'autant plus que cette découverte leur a permis de réaliser de juteux bénéfices.

(A suivre...Demain : chapitre II : Fiona)

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L
Faut arrêter la golden mon pôte
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