Gauvain et Cimourdain

Publié le par Damien

Réponse de Gauvain à Cimourdain dans 93 de Victor Hugo :
« O mon maître, voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne obligatoire, moi je veux l'école. Vous rêvez l'homme soldat, je rêve l'homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une République de glaive, je fonde… je fonderais une République d'esprits. »
Anaïs

Bonjour Anaïs,

Quel lien fais-tu exactement entre le face à face qui oppose Gauvain à Cimourdain à la fin de Quatre-vingt-treize et le sujet de mon article "Une révolution conservatrice" ? L'homme encaserné, militarisé serait-il pour toi l'utopie du nouveau président ?

Je crois pour ma part que la surveillance et la normativité devraient s'accroître dans les années à venir.

 Nous finirons peut-être par  vivre dans une paix névrosée comme dans certains cantons huppés de la Suisse où la taxe fiscale est inversement proportionnelle au patrimoine et où il n'est pas rare de voir des individus respecter les feux piétons à minuit dans les petites rues désolées. La prime d'intéressement et l'individualisation des statuts et des salaires (contrat unique avec précarité dégressive) suffiront à faire perdre l'audience qu'il reste encore aux syndicats. Ceux qui ne pourront plus consommer auront le sentiment de ne plus exister dans une société tout entière vouée à l'achat de biens inutiles. Pour se révolter, il faut encore tenir à l'existence de quelque manière. On prescrira donc aux perdants des calmants ou des jeux télévisés (la télé est dernier lien que conservent les familles pauvres avec la société visible). La droite que représente Nicolas Sarkozy n'est pas fasciste : le fascisme est une forme d'égalitarisme forcené au sein du peuple élu et sous la botte du duce. Le credo de cette droite est avant tout inégalitaire. Son conservatisme repose dans la justification a priori des inégalités engendrées par le système libéral : ceux qui n'auront pu tirer leur épingle du jeu n'auront qu'à s'en prendre à eux-mêmes : ils n'auront pas démontré assez de mérite !

Voilà comme je me figure l'utopie négative des gagnants du jour. Espérons qu'on en reste à l'utopie !

 

à propos de la mort de Gauvain et de Cimourdain :

Autre figure terrible de l'utopie, Cimourdain, tel que l'a conçu Hugo est un condensé de plusieurs figures radicales de la Terreur (cf l'article de Pierre Campion sur le sujet). On verrait en lui aujourd'hui un ultra de gauche, tandis que Gauvain professe une vision plus libérale (au sens désuet du terme) de la société. C'est 89 qui répond à 93, Athènes tenant tête à Sparte, la charte s'inscrivant en faux contre la guillotine. 

Victor Hugo ne voulait pas prendre par pour l'un plutôt ou pour l'autre. Dans ce roman, il fait de la violence le moteur de l'Histoire. La révolution, pour s'achever, demande la tête de Gauvain ; elle fauchera le maître au même instant que le disciple. La paix s'instaurera ainsi : faute de combattants ; une nouvelle ère doit commencer. La Tour fantastique, au pied de laquelle est monté l'échafaud, projette son ombre et ses siècles sur la guillotine qui tranche avec le passé. l'armée et les juges de Gauvain sont graves et silencieux. La nature en fleurs est le témoin ironique de ces deux martyres simultanés.

 

Je crois que, dans cette affaire, il faut adopter le point de vue des pâquerettes.

 

En effet, Victor Hugo manifeste ici une vision hégélienne de l'Histoire, que je n'ai pas. Pour bien guider sa vie, je pense qu'on doit se désintéresser d'être moderne ou rétrograde, d'être ou non dans le "sens de l'histoire". Ce sont des catégories futiles pour ceux qui désirent seulement "être", au plein sens du terme. on ne doit pas davantage chercher de justification ni même d'explication à la violence : elle n'en a pas.

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