histoire des marges dans Petits Traités I
Avant de pouvoir rendre compte du fameux opus de Mickael Camille sur l'art dans les marges, je m'empresse de retranscrire l'histoire de la naissance et de l'expansion des marges dans le livre telle que Pascal Quignard l'a décrite dans les Petits Traités.
Le passage du volumen au codex a précipité l'invention des marges. Les deux mains du lecteur étaient occupées à dérouler et à maintenir le volume dans une position confortable pour la lecture. Il n'était pas alors possible d'annoter. Le codex, c'est à dire le livre symétrique tel que nous le connaissons a libéré ces mains qui se sont mises à écrire tantôt sur un parchemin tantôt sur les nouvelles marges. en effet, le volume ne comprenait que deux marges (tête et pied), le texte du codex se répartit en colonnes symétriques de part et d'autre de la pliure : naissance des marges latérales, "petit fond" et "grand fond".
Avec les marges, écrit Pascal Quignard (Petits Traités 1, p357) c'est "l'autonomie de la page et son architecture, mais aussi l'autonomie de la lecture, de l'annotation, des scolies, et du développement des commentaires" qui font irruption dans l'édition et la lecture.
Le deuxième temps est celui de la justification, procédé par lequel on obtient des marges équivalentes et parfaitement symétriques à gauche et à droite du texte. Ce désir d'égaliser les colonnes blanches et noires s'est manifesté à partir de 1480. "Ligne de droite, ligne de gauche : le texte tranché à coups de hache, à coups de couteau". (ibid. p367)
On peut imaginer à partir de ce constat (là c'est moi qui ajoute), des commentaires proliférants dans les marges jusqu'à étouffer le texte lui-même qui doit se concentrer dans un carré toujours plus petit au centre de la page. Parfois ce ne sont pas les notes de bas de page qui sont repoussées à l'extrémité du livre, mais les paroles les plus décisives. lecture universitaire, oubli du texte original. Umberto Eco, qui a étudié ce phénomène de compilation propre au Moyen âge réalise avec Le Nom de la rose un commentaire de plusieurs centaines de pages du stat pristina rosa nomine, nomina nuda tenemus qui clôt le livre.