"By this river" de Brian Eno
Dans son film La chambre du fils, à deux reprises, Nanni Morretti fait entendre le synthétiseur et le voix de Brian Eno interprétant "By this river", un morceau publié en 1977 par Eno dans un album intitulé "Before and after Science".
La dernière citation coïncide avec l'ultime travelling du film et son générique de fin. Le personnage interprêté par Moretti, un père de famille qui a perdu son fils dans un accident de plongée, marche en compagnie de son épouse et de leur fille sur la plage de Ventimille. Le caractère mélancolique de la chanson de Brian Eno suggère à la fois le deuil et la capacité retrouvée par cette famille à suggérer celui-ci. Celle-ci résonne comme un adieu, et la rivière dont il est question n'est pas loin de ressembler à celle qui sépare les morts et les vivants.
C'est à cette occasion, que j'ai entendu parler pour la première fois de Brian Eno.
Dans La haine de la musique, Pascal Quignard décrit l'obsession musicale -ce qu'une de mes amies particulièrement sujette à ce trouble de la psychologie auditive appelle un "vers d'oreille"- en recourant à un vieux mot de la langue française : le tarabust
"Il y a un vieux mot français qui dit ce tambourinement de l'obsession. Qui désigne ce groupe de sons asèmes qui toquent la pensée rationnelle à l'intérieur du crâne et qui éveillent ce faisant une mémoire non linguistique. Tarabust." (Gallimard, 1996, folio. p62)
Tarabusté par cette chanson de Brian Eno, je me suis mis à écouter différents albums de cet artiste. Dans un premier temps, au moins, j'ai été déçu. Seule cette très courte chanson trouvait grâce à mes yeux, une grâce d'ailleurs que je peinais à définir.
Les musiques de Brian Eno sont assez abondamment représentées sur Youtube avec souvent, en fond, des images de cieux ou de rivières qui dépassent les limites du Kitsch. Le clip qui est sans doute le moins désagréable à regarder est celui-ci qui filme -avec malgré tout quelques fondus enchaînés-l'interprétation du morceau par un guitariste italien.
La dernière citation coïncide avec l'ultime travelling du film et son générique de fin. Le personnage interprêté par Moretti, un père de famille qui a perdu son fils dans un accident de plongée, marche en compagnie de son épouse et de leur fille sur la plage de Ventimille. Le caractère mélancolique de la chanson de Brian Eno suggère à la fois le deuil et la capacité retrouvée par cette famille à suggérer celui-ci. Celle-ci résonne comme un adieu, et la rivière dont il est question n'est pas loin de ressembler à celle qui sépare les morts et les vivants.
C'est à cette occasion, que j'ai entendu parler pour la première fois de Brian Eno.
Dans La haine de la musique, Pascal Quignard décrit l'obsession musicale -ce qu'une de mes amies particulièrement sujette à ce trouble de la psychologie auditive appelle un "vers d'oreille"- en recourant à un vieux mot de la langue française : le tarabust
"Il y a un vieux mot français qui dit ce tambourinement de l'obsession. Qui désigne ce groupe de sons asèmes qui toquent la pensée rationnelle à l'intérieur du crâne et qui éveillent ce faisant une mémoire non linguistique. Tarabust." (Gallimard, 1996, folio. p62)
Tarabusté par cette chanson de Brian Eno, je me suis mis à écouter différents albums de cet artiste. Dans un premier temps, au moins, j'ai été déçu. Seule cette très courte chanson trouvait grâce à mes yeux, une grâce d'ailleurs que je peinais à définir.
Les musiques de Brian Eno sont assez abondamment représentées sur Youtube avec souvent, en fond, des images de cieux ou de rivières qui dépassent les limites du Kitsch. Le clip qui est sans doute le moins désagréable à regarder est celui-ci qui filme -avec malgré tout quelques fondus enchaînés-l'interprétation du morceau par un guitariste italien.
Sur le site New Alexandria où cette vidéo a été chargée, on peut trouver aussi la partition pour guitare de By the river ainsi que les paroles de la chanson que je retranscris ici :
Here we are
Stuck by this river,
You and I
Underneath a sky that's ever falling down, down, down
Ever falling down.
Through the day
As if on an ocean
Waiting here,
Always failing to remember why we came, came, came:
I wonder why we came.
You talk to me
as if from a distance
And I reply
With impressions chosen from another time, time, time,
From another time.Stuck by this river,
You and I
Underneath a sky that's ever falling down, down, down
Ever falling down.
Through the day
As if on an ocean
Waiting here,
Always failing to remember why we came, came, came:
I wonder why we came.
You talk to me
as if from a distance
And I reply
With impressions chosen from another time, time, time,
La chanson ne dit rien ou pratiquement rien, elle se borne à esquisser un paysage chinois où le vide a la plus grande part.
Certaines interprétations, comme celle de la harpiste Serafina Steer (voir l'article qui lui est consacré dans la blogothèque) renforcent le côté grêle de la mélodie. Lorsque la chanteuse a entonné en pinçant les cordes de son instrument les premières mesures de By the river aux Transmusicales le 7 décembre dernier, le public rennais a été conquis par cette voix ténue qui correspondait si bien à la maigre composition de 3 minutes qu'Eno fit entendre pour la première fois en 1977. Ce qui me semble curieux, c'est qu'en dépit de son caractère un peu mesquin, sa simplicité affichée et quelque peu ostentatoire, et peut-être à cause de tout cela, ce morceau ne cesse de m'enchanter. Peut-on appeler cela du minimalisme ?
Le Répertoire international de la Littérature musicale signale un document qui est en fait disponible sur Internet et que j'ai consulté ce matin pour répondre à cette question. Ce document est un mémoire de 211 pages qu'un docteur en musicologie de Berkeley, Eric Tamm, a publié sous le titre suivant : "Brian Eno, his music and the vertical colour of sound". Ce mémoire est consultable ici.
L'oeuvre de Brian Eno a deux versants qui peuvent s'opposer ou se rejoindre d'un album a l'autre. D'un côté, Brian Eno est un compositeur qui, toute sa vie, a procédé à de multiples expériences musicales dans la lignée d'un John Cage ou d'un Stockhausen. La façon dont il savait susciter des paysages sonores et donner à des séquences sonores une dimension pour ainsi dire spatiale lui ont attiré la curiosité des universitaires. La naïveté musicale qu'il revendique le rapproche de Phillip Glass et cette parenté ont conduit plusieurs réalisateurs de cinéma à faire appel à son talent. Ainsi, le nom de Eno apparaît à côté de celui de Mickaël Nyman dans Les premiers films de Greenaway. Brian Eno a aussi créé la bande originale de Dune.
D'un autre côté, Eno est assimilé aux développements de la pop dans les années 70. Brian Eno a composé également des albums rock qui n'ont pas un grand intérêt à mes yeux.
Le morceau intitulé "By the river" pourrait être assimilé à de la pop, mais il révèle aussi une technique ou une façon de composer que Brian Eno appelle sa naïveté musicale ("musical naïveté") ; la citation suivante est extraite du mémoire de Tamm :
"I enjoy working with simple structures [...] for they are transparent comparable to a piece of graph paper and its grids. The grid serves as the reference point for the important information -the graph line itself)" (J'adore travailler avec des structures simples [..] car elles sont transparentes semblables à une feuille de papier calque avec un quadrillage. Le quadrillage sert de point de référence pour tracer les informations importantes : le dessin sur le calque."
Est-cela le minimalisme ? la simplicité du fil conducteur ? ou bien n'est-ce que la trame de la pop music, dont Brian Eno s'est servi pour composer dans By the river un air à ce point fascinant et entêtant?
Certaines interprétations, comme celle de la harpiste Serafina Steer (voir l'article qui lui est consacré dans la blogothèque) renforcent le côté grêle de la mélodie. Lorsque la chanteuse a entonné en pinçant les cordes de son instrument les premières mesures de By the river aux Transmusicales le 7 décembre dernier, le public rennais a été conquis par cette voix ténue qui correspondait si bien à la maigre composition de 3 minutes qu'Eno fit entendre pour la première fois en 1977. Ce qui me semble curieux, c'est qu'en dépit de son caractère un peu mesquin, sa simplicité affichée et quelque peu ostentatoire, et peut-être à cause de tout cela, ce morceau ne cesse de m'enchanter. Peut-on appeler cela du minimalisme ?
Le Répertoire international de la Littérature musicale signale un document qui est en fait disponible sur Internet et que j'ai consulté ce matin pour répondre à cette question. Ce document est un mémoire de 211 pages qu'un docteur en musicologie de Berkeley, Eric Tamm, a publié sous le titre suivant : "Brian Eno, his music and the vertical colour of sound". Ce mémoire est consultable ici.
L'oeuvre de Brian Eno a deux versants qui peuvent s'opposer ou se rejoindre d'un album a l'autre. D'un côté, Brian Eno est un compositeur qui, toute sa vie, a procédé à de multiples expériences musicales dans la lignée d'un John Cage ou d'un Stockhausen. La façon dont il savait susciter des paysages sonores et donner à des séquences sonores une dimension pour ainsi dire spatiale lui ont attiré la curiosité des universitaires. La naïveté musicale qu'il revendique le rapproche de Phillip Glass et cette parenté ont conduit plusieurs réalisateurs de cinéma à faire appel à son talent. Ainsi, le nom de Eno apparaît à côté de celui de Mickaël Nyman dans Les premiers films de Greenaway. Brian Eno a aussi créé la bande originale de Dune.
D'un autre côté, Eno est assimilé aux développements de la pop dans les années 70. Brian Eno a composé également des albums rock qui n'ont pas un grand intérêt à mes yeux.
Le morceau intitulé "By the river" pourrait être assimilé à de la pop, mais il révèle aussi une technique ou une façon de composer que Brian Eno appelle sa naïveté musicale ("musical naïveté") ; la citation suivante est extraite du mémoire de Tamm :
"I enjoy working with simple structures [...] for they are transparent comparable to a piece of graph paper and its grids. The grid serves as the reference point for the important information -the graph line itself)" (J'adore travailler avec des structures simples [..] car elles sont transparentes semblables à une feuille de papier calque avec un quadrillage. Le quadrillage sert de point de référence pour tracer les informations importantes : le dessin sur le calque."
Est-cela le minimalisme ? la simplicité du fil conducteur ? ou bien n'est-ce que la trame de la pop music, dont Brian Eno s'est servi pour composer dans By the river un air à ce point fascinant et entêtant?
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