relativisme et lecture plaisir

Publié le par Damien

Bibliothécaires vs Professeurs

 

 

 

 

 

Les abonnés à Biblio.fr ont reçu ce matin la contribution de Thierry Giappiconi (BM de Frênes) au débat sur la culture légitime qui fait rage (et le mot n’est pas exagéré quand on voit quels anathèmes sont lancés contre Alain Finkielkraut depuis des mois) sur cette liste de diffusion (messages intitulés : de la culture légitime)

T. Giappiconi rappelle à juste titre que si les sociologues sont des scientifiques, le relativisme culturel qui semble liée à la sociologie n’est pas pour autant une position scientifique mais bien une idéologie ; cette idéologie se développe en même temps que l’exercice de la démocratie de la même manière que se développe –si vous me permettez cette expression empruntée à un sport qui m’est cher- le tennis elbow dans le coude du tennisman.

Il s’agit d’une gêne indissociable de la pratique de la démocratie mais qui n’en laisse pas moins de faire des ravages si on ne prend pas soin d’en atténuer les effets[1].

En effet, de considérer que toute hiérarchie et même toute définition (définition de ce qu’est la Littérature par exemple) vaut exclusion, vaut ostracisme, est en soi une maladie du jugement. La position critique est au contraire celle qui convient le mieux à l’esprit démocratique, tandis que ce qu’on appelle aujourd’hui être « tolérant » n’est en fait le plus souvent qu’une manière d’habiller son indifférence avec de grands mots.

 

 

 

Revenons à la contribution de Giappiconi :

Celle-ci essaie de dépasser toute vision qui opposerait trop radicalement les tenants du relativisme d’une part qui se présentent comme des pragmatiques et d’autre part les partisans d’une vision éducatrice de la culture qui irait trop à l’encontre des pratiques culturelles actuelles et des industries du divertissement : « L’opposition entre culture légitime et culture supposée « illégitime » relève d’un manichéisme qui n’existe que pour les besoins de la cause du relativisme culturel » En cela, je suis tout à fait d’accord avec lui, et la cristallisation des débats autour de la personne d’Alain Finkielkraut me semble très suspecte.

Cette opposition repose aussi sur des préjugés encore très enracinés parmi mes collègues bibliothécaires et notamment en lecture publique. Beaucoup en effet disent travailler dans l’intérêt des usagers en promouvant une lecture fondée sur le « plaisir », faisant la part belle aux romans populaires (de type Harlequin) et en suivant au plus près l’offre éditoriale soumise aux lois du marketing (plutôt à une conception étroite du marketing qui focalise l’attention du public sur un nombre très restreint de titres) :

 

« o Non, les usagers ne fréquentent pas d¹abord les bibliothèques pour
leur plaisir mais principalement par nécessité (acquérir ou mettre à jour
une qualification, s¹insérer par la connaissance de la langue, voire de
l¹environnement juridique et institutionnel pour les étrangers, etc.)

 

 


o Non la lecture de « romans populaires » n¹est pas une forme de
loisirs en plein développement mais en constante régression devant la
concurrence du multimédia .

 

 


o Non, la bibliothèque ne peut gagner un lectorat en se situant dans
le même « créneau marketing » que la diffusion commerciale alors qu¹elle n¹y
dispose d¹aucun avantage concurrentiel.
 »

,affirme au contraire le directeur de la Bibliothèque Municipale de Frênes, avec raison selon moi.

 

 

 

 

 

Un préjugé identique oppose la lecture studieuse, la seule que l’on pratiquerait à l’école à la "lecture plaisir" (celle-ci d'ailleurs est conçue comme le propre le propre du genre romanesque ç l'exclusion du reste ; comme si les documentaires ne suscitaient aucune fascination !). La littérature professionnelle sur l'animation que j'ai étudiée au Québec pendant trois mois en 2005 regorge de ces idées préconçues ; quel tristesse de voir qu'un bon nombre de ces a priori ont survécu à trente années d'expériences contradictoires ! 

Ces conceptions fausses –ou qui le sont devenues progressivement depuis les années 60- barrant d’un trait tout le travail que font mes anciens collègues de collège et de lycée pour tenter de donner le goût de la lecture à leurs élèves et notamment d’une lecture qui sorte des niches éditoriales de la Littérature pour la jeunesse (lecture-rallyes, présentations de livres, rencontre d’écrivains, adaptation théâtrales ou cinématographiques de scènes de romans, débats autour d’un livre, etc.) expliquent en partie l’ignorance que ces deux corps de métiers ont souvent l’un de l’autre.

En cette période de nouvel an, je souhaite une mort rapide à tous ces préjugés qui nous divisent au lieu de nous rassembler autour d’une tâche commune : donner à lire autre chose que ce dont les industries culturelles nous abreuvent.



[1] On pourrait en dire autant de la survalorisation du statut de victime qui gagne tous les jours du terrain dans ces mêmes sociétés démocratiques (cf. l’entretien que Caroline Eliacheff et Daniel Soulez Larivière ont donné sur France-Culture hier à l’occasion de la parution du Temps des victimes

 

 

 

 

 

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