Aspects contradictoires de mai 68

Publié le par Damien

1. Comment s'y retrouver à travers l'avalanche verbale et éditoriale que suscite aujourd'hui mai 68 ?


On ne peut plus guère allumer son poste de radio ou ouvrir son journal sans tomber sur une émission ou un article qui commémore de près ou de loin mai 68. Et nous n'en sommes pourtant qu'au quarantième anniversaire de ces événements. Quelle marée commémorative devons-nous attendre pour 2018 ?
Devant l'afflux des titres qui sortent opportunément sur cette période, le bibliothécaire que je suis se demande quel titre il va pouvoir conseiller aux étudiants qui souhaitent s'informer sur cette période.
En 1968, je n'étais guère, comme disent les Anglais, qu'une étincelle dans l'oeil de mon père qui a jeté quelques pavés à l'époque, mais ce mois de mai fait partie de mon hantologie comme c'est le cas pour beaucoup d'autres.
Je pense que le bavardage actuel sur la "génération mai 68" brouille les idées et recouvre le sens véritable de cette révolte au lieu de le rendre plus clair. Mai 68 est d'abord une lutte pour une reconnaissance sociale des travailleurs et une réduction des inégalités. En ce sens, les grèves de 95 en constituent l'un des avatars et il faut s'attendre à ce que mai 68 connaissent encore d'autres vies ultérieures, pour reprendre l'expression de Kristin Ross (cf. note de lecture parue dans les cahiers du GERME)
Je pense par ailleurs qu'il est temps de relire Debord, car si l'application dans les travaux intellectuels d'un marxisme pur et dur a contribué à enterrer le mouvement de 68 aussi sûrement que la société de consommation, la plupart des thèses de La Société du spectacle qui ont irrigué la pensée 68 avant sa sclérosante conversion vers le "dictariat de la prolétature", la majeure partie de ses propositions n'ont pas pris une ride. Si le socialisme réel a discrédité Marx, les temps que nous vivons confirment Debord.

2. "Toute question posée était une question ad hominem" (Hervé Hamon)

Dans son ouvrage Le vent du plaisir, Hervé Hamon souligne l'importance que prenait toute question dans la vie individuelle de ses condisciples à l'université après mai 68. L'engagement était de rigueur et les causes à embrasser ne manquaient pas tant le projet de changer radicalement de société était présent dans les esprits.
Entre autres sujets de contestation, l'hostilité des étudiants à l'encontre de la politique étrangère de leur gouvernement ne s'est pas seulement manifestée de manière paroxystique aux Etats-Unis, pour faire cesser l'envoi de troupes au Viet-Nâm, mais également en Allemagne de l'Ouest, lorsque le gouvernement a accueilli le Shah d'Iran en visite officielle. Les manifestations se sont multipliées à la suite du meurtre d'un étudiant, Benno Ohnesorg, abattu par un policier. Bien sûr ces mouvements ont coûté la vie d'un homme et ont provoqué de nombreuses autres scènes de violence, mais le peu d'ampleur et le peu d'échos qu'ont eu les manifestations contre la venue de Khadafi il y a quelques mois font tout de même regretter  un peu cette époque où la Realpolitik conservait quelque chose de honteux.
Voici les images de ces journées commentées par Ulrike Meinhof :



Le fait que les mouvements contestataires de 67-68 n'aient pas dégénéré en actes de violence en France (si l'on excepte les crimes commis par Action Directe) alors qu'en Allemagne par exemple Ulrike Meinhoff a laissé tomber le stylo pour la mitraillette et qu'en Italie les Brigades rouges ont assassiné entre autres un éminent représentant de la démocratie chrétienne, tout cela reste mystérieux pour moi. Et si quelqu'un a une explication à me proposer, je suis preneur.

3. Une émission de France-Culture sur mai 68 perturbée par des militants pour la cause des sans-papiers



Ce matin, Alain Finkielkraut, dans son émission du samedi matin "Répliques", invitait Serge Audier, auteur de "La pensée anti-68 : essai sur les origines d'une restauration intellectuelle" et Jade Lindgaard, journaliste.
L'émission a pris un tour inhabituel quand parmi les spectateurs qui s'étaient retrouvés à l'Odéon où France-Culture avaient établi ses micros, un petit groupe d'individus ont occupé le plateau pour lire une déclaration dans laquelle ils dénonçaient notamment le traitement des immigrés dans les centres de rétention.
La colère d'Alain Finkielkraut était très audible (l'auteur de la Défaite de la pensée a laissé échapper un"putain !") lorsqu'on lui a pris le micro. L'animateur a accueilli cette irruption avec des insultes comme "Goujats" et "crétins".
"A mort les croque-morts", lui aurait répondu l'un des auteurs de cet esclandre en appuyant son dire avec un beau bras d'honneur (à en croire Alain Finkielkraut). Pour ma part, je n'ai rien entendu et le script de l'intervention paru sur Indymedia se termine seulement par un vigoureux "merde aux croque-morts". Mais Alain Finkielkraut s'est en tout cas cru menacé de mort et s'est lancé dans une diatribe contre les excès de l'idéoloie antiraciste. Comme souvent avec cet animateur, la dénonciation était convaincante mais manquait de pertinence avec la réalité des propos qui ont été échangés.
Après le départ des agitateurs, Finkielkraut a eu bien du mal à décolérer, contrant maladroitement son Serge Audier en faisant dévier la conversation du sujet initial et en prêtant à l'essayiste des mots ou des intentions qu'il a pu démentir sans difficulté. Cette agressivité latente n'a pas contribué à élever le débat, débat dont d'ailleurs Serge Audier a fini par se lasser, laissant Jade Lindgaard affronter seul les longs tunnels radiophoniques de l'animateur.
Pour autant, La colère de Kinkielkraut était compréhensible et je crois que l'animateur a bien analysé l'attaque dont il a fait l'objet ce matin. On lui reproche, comme à tous les soixante-huitards, d'être en gros un survivant de mai 68, et en tant que survivant médiatique, d'en empêcher la transformation en mythe mobilisateur.
C'est exactement le même grief que j'ai entendu ressasser à l'automne dernier par les étudiants de Rennes 2 à l'automne à l'encontre du Président de l'Université lors de la dernière grève.
La séance de Répliques du 10 mai, affligeante à bien des égards, a eu néanmoins le mérite de rappeler que nous ne devons pas seulement commémorer la rébellion des étudiants de Nanterre en ce joli mois de mai, mais aussi la répression du printemps de Prague sur laquelle, d'ailleurs, les leaders étudiants de l'époque ne sont pas restés muets.
Avant que tout le monde ne revête l'uniforme idéologique du marxisme maoïste ou trotskyste, mai 68 aura d'abord été une formidable publicité pour les idées de Debord entre autres, puisque tous les slogans écrits sur les murs et qui nous sont restés de cette époque, étaient situationistes.
Mai 68, c'était une critique à la fois du gaullisme et du communisme stalinien. Il s'agissait de refuser à la fois la société patriarcale, la société du spectacle et le totalitarisme qui régnait dans les pays de l'Est.
Mai 68, c'était enfin un soulèvement de caractère festif (très loin du sérieux avec lequel les personnes contestataires qui ont interrompu Répliques ont lu leur communiqué), un pas de côté, une pause pour réfléchir.
Deux films me semblent parfaitement résumer cet esprit : Charles Mort ou vif, d'Alain Tanner, et L'an 01 de Doillion.
Je signale d'ailleurs, que le film L'an 01 est intégralement diffusé sur Youtube en 9 longs clips. Je suppose que cela n'est pas sans poser de problèmes de droits d'auteur, mais s'agissant d'un film qui récuse la propriété, il serait mal venu à ceux qui l'ont réalisé et ceux qui l'ont produit ainsi qu' aux acteurs qui y apparaissent (on peut reconnaître Depardieu, Miou Miou, Gérard Jugnot, Coluche à leurs débuts) d'entraver la libre diffusion de cette oeuvre sur ce support relativement accessible.


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Publié dans politique

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Commenter cet article
C
et de la Nakba de Mai 48 qui se souvient?<br /> et des réfugiés palestinies qui s'en soucie?<br /> par contre la création de l'état d'Israel, on se bouscoule...<br /> drôles de "droit internatiol" et de "communauté internatione"!
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