connaître ses désirs (toujours à propos de Tarkovsky)

Publié le par Damien

 
Alexandr Kajdanovsky interprête le Stalker qui conduit deux aventuriers (l'Ecrivain et l'Homme de science) à travers la Zone interdite vers la Chambre des désirs. Faire de la Science-Fiction avec des bouts de ficelle conduit forcément à rendre le cinéma pensif et métaphysique. La qualité des effets spéciaux a contrario peut enfermer le film dans la sphère du divertissement inoffensif et de la consommation.


"Solaris est la Chose, la libido aveugle incarnée, alors que la Zone est le vide qui soutient le désir"
Slavoj Zizek, Lacrimae rerum ; Amsterdam Poches, Paris : 2005

"    la zone est comme un immense miroir où l'homme de peut s'empêcher de voir la lumière ou la noirceur de son propre coeur. Pénétrer dans la zone, c'est accepter de s'aventurer dans le territoire le plus secret de notre âme." Juan Asensio, auteur du blog Stalker ou la dissection du cadavre de la Littérature.
  (http://stalker.hautetfort.com/files/la_voix_secrete..._pdf_zone.pdf)


La bonne fée


Le psychologue scolaire en veston à carreaux me regarde avec un air placide et me demande : "Si vous le voulez bien, nous allons revenir un peu dans l'univers des contes de fées qui est celui de notre enfance. Supposons que vous rencontriez au détour d'un chemin une bonne fée qui vous promet qu'elle peut exaucer instantanément trois de vos voeux. Quels seraient ces voeux ?
Je ne marche pas. Je réponds que ce que je veux, je me débrouillerai moi-même pour l'obtenir. Le monde est vide de fées.
Mais dans un de ces films, le réalisateur russe André Tarkovsky a imaginé un personnage qui désire redonner espoir aux hommes en leur faisant imaginer au centre d'une zone sinistrée par une catastrophe nucléaire une chambre qui peut exaucer tous les désirs de ses visiteurs. Est-on toutefois bien sûr de connaître ses désirs les plus profonds ?

C
ertains, comme Juan Asensio disent que l'oeuvre de Stalker ne se laisse pas intérprêter en termes psychanalytiques. Je ne suis pas assez versé en psychanalyse pour l'affirmer. Cependant, la tentative que fait Slavoj Zizek de freudiser le Stalker dans Lacrimae rerum ne me paraît pas tout à fait vaine.
Je remarque moi-même que le rapport au désir inconscient est très présent dans au moins deux films de Tarkovsky : Solaris et Stalker.

Solaris : "la Chose qui pense au coeur de notre être" (Zizek)


Dans Solaris, l'océan qui recouvre la planète envoie aux astronautes qui tentent de percer son secret la réincarnation de personnes qu'ils ont connues sur terre. C'est ainsi que Chris Kelvin retrouve dans la station son épouse Harey qui s'est suicidée quelques années plus tôt sur Terre, à la suite de leur rupture. Cette deuxième chance engendre chez le sujet le désir de surmonter le traumatisme de cette relation mortifère. Kelvin, après avoir tenté de se débarrasser de l'avatar de son épouse va tenter de reconstituer un couple avec elle. En vain. Le protagoniste de Solaris a connu une Harey redoutant par dessus tout d'être abandonnée et prête à se suicider pour ne pas avoir à souffrir la séparation. C'est ainsi qu'il va la retrouver dans l'espace. La femme avec laquelle il couche dans la station n'est pas indépendante du phantasme qu'il a conservé de celle qu'il a connue sur terre.
L'intelligence du romancier Stanislas Lem le garde de donner une explication définitive sur les intentions de l'Océan : Solaris envoie t-il ces projections aux spationautes pour les rendre fous et les empêcher de percer à jour sa nature, ou bien fait-il cela en croyant leur faire plaisir. ? Après tout, chacun dans la station, ne revoit-il pas celui ou celle qu'il souhaite très profondément revoir sans en avoir conscience ? Dans le roman, la surface visqueuse de l'Océan matérialise pour le collègue de Kelvin, Gibarian, la silhouette d'une gigantesque femme aux seins pendants, sorte d'obscène Baubô dans laquelle Zizek reconnaît la Déesse-Mère. Même si cette vision pouvait coïncider avec le phantasme de Gibarian, ce phantasme devient impossible à supporter quand il s'impose à celui qui le conçoit. Gibarian en pleine lucidité comprend tout cela et se suicide.

Stalker : la Chambre comme vide qui soutient le désir


Dans Stalker, l'arpenteur de la Zone Interdite explique aux deux aventuriers dont il guide les pas que la Chambre qui se trouve au centre du site a la capacité d'exaucer tous les désirs de ceux qui y parviennent. Mais pour ne pas cacher les dangers de cette expérience à ses compagnons, Il narre l'histoire de son maître qui l'a initié aux secrets de la zone avant de disparaître. Celui-ci est arrivé dans la Chambre en croyant que son désir était de sauver le monde d'une catastrophe nucléaire. Après avoir quitté la Chambre et la Zone, il apprend que son frère est mort dans un accident et que sa fortune lui revient.  Il comprend  alors que cet accident, c'est lui qui l'a souhaité au plus profond de lui-même sans en être conscient. Comme il ne peut supporter d'avoir conçu ce désir meurtrier à l'encontre de son frère, il se pend à un arbre.

Solaris, tout comme Stalker montrent les dangers qui guettent un homme lorsque ses voeux les plus chers se trouvent exaucés, lorsque le Moi est mis en confrontation directe avec le ça et que le recul que nous essayons d'avoir par rapport à notre désir pour une raison ou une autre est définitivement aboli.
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Publié dans cinéma

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