Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de la bonne nouvelle
"Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de la bonne nouvelle", lit-on dans l'épître aux Romains
Il faut restituer le paradoxe présent dans cette phrase de Saint Paul. Les pieds de ces messagers ne sont pas beaux : ils ont suivi le Christ dans le désert, puis ils ont marché dans la poussière des chemins, ils ont été heurtés par les pierres avec lesquelles on accueillait parfois les apôtres. La peau de ces pieds s'est durcie après avoir connu les ampoules et les plaies. Objectivement, les pieds des messagers de bonne nouvelle ne sont pas beaux.
Et pourtant, dans un autre ordre, ils sont emprunts de cette beauté que l'attente mue par l'espoir confère à son objet. Dans les tragédies antiques, les messagers avant de délivrer la nouvelle qui va précipiter le déclin irréversible d'une famille ou la mort d'une héroïne, demandaient à leur audience de ne pas se venger sur leur personne de la funeste annonce qui allait les frapper par son intermédiaire. C'est que la chose devait arriver. Nul n'est tendre avec les oiseaux de mauvaise augure.
Lorsque la nouvelle est bonne au contraire, celui qui la porte est transfigurée et bien qu'il soit laid, pauvre, malade, toute sa personne est auréolée de prestige.
Aujourd'hui, l'angoisse naît en nous lorsque nos espoirs ne sont pas exaucés sur le champ. La perspective d'une promesse (qu'on la reçoive ou qu'on la donne) nous paraît anachronique. Et quoi ! ne vivons-nous pas aujourd'hui dans un univers mobile où nous devons manifester à chaque fois de nouvelles preuves de notre mobilité (CV oblige) ? Mobilis in mobile : la devise du nautilus est devenue celle de tout le monde. Héraclite serait content.
Si nous faisons aujourd'hui des projets, ce n'est plus tant dans notre for intérieur (comme des promesses à nous-mêmes) que pour l'affichage et le pedigree : "c'est un as : il m'a dit qu'il convoitait le poste d'administrateur principal de sa boîte et qu'il l'aurait d'ici un an". Car le monde est devenu trop mouvant pour nous permettre de tenir sérieusement à ces projets. Mobiles dans un élément mobile, nous réévaluons à chaque instant notre plan de carrière et l'évolution de notre situation conjugale en fonction des informations qui parviennent jusqu'à cet "ordinateur neurophile qui [nous] sert de cerveau" (Léo Ferré).
Quant aux vrais messagers de bonne nouvelle qui se présentent, nous les dépassons sur les voies rapides, nous les doublons dans les escaliers roulants, nous les laissons sur place au feu vert, fouettés que nous sommes par les jouissances que nous cherchons aux moindres carrefours.
Si un de ces messagers parvient jusqu'à nous un jour, il n'est pas certain que sa nouvelle soit bonne, il est probable au contraire que ce soit la dernière.
Rilke écrivait :
Tout le pressant
Sera déjà passé
Car le demeurant
Déjà nous inaugure
Je corrige pour ma part :
Tout le pressant / sera déjà passé / Car seul le cheminant / à jamais nous initie