chercher, trouver, tourner

Publié le par Damien

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"Je le trouve bien  irrité ces temps-ci"
"Il se trouve quelque part dans le Montana"
"J'ai trouvé la solution au problème de la quadrature du cercle"


Les sens du mot "trouver" sont tellement divers selon le contexte où il est employé qu'il est très difficile de restituer quel est son fondement sémantique. Celui-ci est-il plutôt appréciatif (sens 1), géographique (sens 2), dynamique (sens 3) ?
Ses équivalents latin et grec ne sont pas si difficiles à caractériser : "invenire" (venir à) a un sens plutôt dynamique, il implique un déplacement au moins mental (la chose est venue à mon esprit). Invenire n'est jamais employée dans le sens 1. Il est très peu fréquent à la forme passive ou moyenne dans le sens 2
"tunchaneïn" ou, à l'aoriste, "tucheïn", est employés d'abord pour décrire un état de chose : "Il se trouve être X ou Y". La Tuchê personnifie le hasard, c'est-à-dire la manie qu'ont les choses d'être telles qu'elles sont et non pas telles que nous voudrions qu'elles soient.

Le mot français trouver vient de l'occitan trobar (tourner) qui dérive lui même de la racine grecque trop* (tropos : le tour). Trouver une chose, c'est la tourner d'une certaine façon.
De là vient que les Trouvères au Moyen-âge, ou leurs équivalents méridionaux les troubadours ont recentré leur rhétorique non sur l'art de trouver des arguments ou des motifs (inventio), mais sur la façon de les disposer (dispositio). Cela ne les a nullement empêché de faire une oeuvre très originale. Car dans les bons poèmes, la forme n'est pas moins profonde que le fond.

"Donner un certain tour à ce que l'on fait"


Il en résulte que la paix n'est pas ce que l'on trouve (ou que l'on ne trouve pas après l'avoir cherché), comme si cela nous manquait, c'est une certaine façon de tourner les événements qui surviennent à notre avantage. A moins que ce ne soit une façon de donner un certain tour à notre activité de telle sorte que celle-ci nous enrichisse et pourquoi pas nous change. Le fait de forger fait de vous peu à peu un forgeron. Le livre que vous faites est celui dont vous direz, comme Montaigne, qu'il vous a fait.

"Laissez-lui le temps de se trouver"

L'expression largement répandue aujourd'hui "se trouver"
est plus mystérieuse. (Laissons-lui un peu de temps pour "se trouver" : propos entendu parfois dans les conseils de classe)
Que signifie cela ? Dispose t-on en soi d'un trésor enseveli, d'un talent caché que l'on doive investir dans un métier ou un loisir mis à disposition par la société ?
Je préfère prendre l'expression dans un autre sens, peut-être un peu mystique, mais je n'ai rien de plus précis à proposer pour le moment :
Il est vrai que nous échappons à nous-mêmes, chaque fois que nous tentons de nous saisir ; On ne saurait être la personne qui passe, et celle au balcon qui la voit passer. Prends garde Narcisse : ce que nous savons de nous, c'est l'image que nous rend une eau troublée ou un miroir embué. Je ne crois pas que le fait de trouver le métier pour lequel on est fait y fasse grand-chose. Nous ne devons pas nous chercher nous-même, nous n'y arriverons pas.

Où se trouve donc le fondement du bonheur : en nous ou hors de nous ?


"Hors de nous", donnons-nous l'impression de penser tous les jours, lorsque nous déroulons les plans des châteaux que nous construirons en Espagne

"En nous", répond Attâr l'Apothicaire :

Ayant bu des mers entières
nous restons tout étonnés
que nos lèvres soient encore aussi sèches que les plages,
Et toujours cherchons la mer pour les y tremper
Sans voir que nos lèvres sont les plages
Et que nous sommes la mer


Je ne suis d'accord avec ni l'un ni l'autre point de vue. Nous n'avons pas en nous assez de ressources pour vivre heureux. Si nous chechons de vraies béatitudes, il nous faut vivre en résonnance avec les gisements de beauté du monde physique. Le fait que le monde s'enlaidisse ou du moins soit pollué de plus en plus rapidement, rend ces gisements encore plus actifs. Il suffit, pour en percevoir l'écho en nous-mêmes, de se tourner dans la bonne direction.
Tu me demandes ce qu'est une âme ? Un émetteur-récepteur de beauté primaire.

Le tournesol (héliotropos) se tourne vers le soleil pour capter davantage de lumière ; de même, tourne-toi vers ce qui rayonne d'un vrai jour, et tu trouveras là subsistance quotidienne et substance pour ta vie, et tu n'auras cure de te trouver. Ne sois pas casanier, mais ne t'épuise pas non plus en voyages : si ton âme sait bien pivoter sur elle-même, en quelque lieu que tu trouves, tu t'y trouveras bien.




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Publié dans philosophie

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