Into the wild

Publié le par Damien

undefinedChristopher Mc Candless, "Alexander Supertramp" dans le film est mort de faim dans son minibus (devant lequel il est assis sur cette photo) à la mi-août de l'année 1992. Depuis la parution de la biographie que John Krakauer lui a consacrée, ce bus est devenu une attraction touristique du Denali National Park. Une controverse existe sur les causes exactes de la mort de Mc Candless ; Krakauer prétend qu'il est mort d'avoir ingéré des tubercules vénéneux, les gens du cru considèrent qu'il était suicidaire de s'aventurer sur ces terres sans carte et accusent Mc Candless de folie téméraire. Si le jeune homme avait disposé d'une carte, il aurait su qu'un gué permettait de traverser le fleuve Teklanikla 6 miles en amont de sa position. L'autoroute qui mène au parc Denali passait à 20 miles de l'endroit où il a rendu l'âme (cf. La discussion parue sur Wikipedia à propos de l'article "Christopher Mc Candless"). Ce qu'on pourrait appeler l'imprudence de Mc Candless ressemble à la témérité des héros de London et notamment à la mort tragique de l'"Homme" dans la première version de Construire un feu.



"Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation" (Debord)

On raconte que le roi Louis XI avait enfermé  à vie le cardinal  Jean Balue dans une de ces cages appelées "fillettes" où il était impossible au prisonnier de se tenir debout ni de s'allonger  convenablement tant elles étaient étroites et peu élevées. Cette cage où moisissait  Balue était  suspendue à une chaîne dans une  salle  moyenne du château de Loches.  Un jour, le roi vint rendre visite à son prisonnier et lui  dit : "Cardinal, vous n'avez pas très bonne mine, vous devez être à l'étroit. Dès demain, je m'engage à vous agrandir". On raconte que le lendemain, le roi fit porter et suspendre la cage du prisonnier dans une salle aux dimensions effectivement plus grandes.

Le cinéma ne se lasse pas de nous servir la représentation de destinées exemplaires qui eussent pu être les nôtres si nous en avions cherché la réalisation au lieu de nous contenter de leurs représentation. C'est ainsi que le fonctionnaire que je suis a accueilli le premier film tourné par Sean Penn, Into the wild.
Plusieurs de mes amis ont avoué avoir reçu une claque en regardant ce film ; ce n'est pas exactement mon cas, mais je comprends très bien leur impression. Quel choc de découvrir à travers un film le souffle de London et la robustesse de Thoreau, lorsqu'on doit tous les jours embaucher à 8h30 pour faire de la rétroconversion, du catalogage ou des inscriptions de lecteurs toute la sainte journée.

Ce que le film interroge en nous, en tout premier lieu, c'est notre capacité à faire des compromis acceptables entre l'appel du large et le salariat. Pour moi, ce compomis réside dans l'emploi de mes 52 jours statutaires de vacances qui me servent principalement à randonner en France et en Espagne.

Un film qui n'échappe pas au clip

Je n'ai pas été à ce point ému par ce film peut-être parce que je ne suis plus débutant dans cette culture de l'équipée sauvage qui anime le héros. Par ailleurs, je trouve que ce film n'est pas sans défauts. Certes la structure narrative est habile (le film à partir de la situation dramatique qui annonce la mort du héros procède par anamnèses chronologiques mises en relation avec un âge de la vie du jeune homme (et une étape du développement de la pensée chez chaque homme) : 1. Enfance 2. adolescence 3. vers la maturité 4. Vers la sagesse). Mais la façon de filmer est souvent clipesque : ainsi les ralentis quand le personnage prend sa douche où lorsqu'il descend le Colorado en Kayak, le panoptique circulaire lorsqu'on le voit marcher dans les massifs enneigés de l'Alaska (une scène déjà vue très souvent au cinéma : le personnage lève les bras et ferme les yeux à la manière de Léonardo di Caprio à la proue du Titanic et un travelling circulaire de la caméra nous fait comprendre que nous assistons au rendez-vous chamanique de l'homme avec la nature, à l'envol de son Esprit-oiseau. Je signale un plan de ce type à la fin de Windtalkers de John Woe.

"Trapped by Nature"

Mais si la caméra de Sean Penn n'évite pas toujours le clip ou le Kitsch, son propos est fidèle à l'aventure tragique de Christopher Mac Candless et ne manque pas des nécessaires amiguïtés qui lui permettent de rester à la hauteur des écrivains qui l'ont inspiré : London, Thoreau, Tolstoï.
Ainsi, le film devient vite complexe quant aux raisons qui ont poussé le jeune homme à fuir la société. Plusieurs nous sont données les unes à la suite des autres : la haine d'un intellectuel à l'encontre de l'american way of life et du matérialisme qui le caractérise, l'alter-mondialisme, la soif d'un contact direct avec la nature, une volonté irrépressible d'autacie liée à ses problèmes familiaux, un désir irrationnel de se mesurer aux éléments en se privant des moyens élémentaires de survie (en l'occurrence, une carte),  un don-quichottisme de la pensée qui le pousse à reproduire les expériences racontées dans les livres qui l'accompagnent tout au lond de son trajet. Chacun se saisira de la motivation qui lui semble la plus réaliste ; elles sont toutes présentes dans le film.

Autre ambivalence, celle de la Nature, qui n'est pas la divinité tranquille que l'on nous donne à voir dans maints films rousseauistes. Inutile de dire que les paysages que Mc Candless alias "Supertramp" traverse à pied sont époustouflants, mais la Nature révèle aussi son potentiel d'inhumanité lorsque le jeune trappeur après avoir abattu un élan tente d'en soustraire la viande aux mouches en la cachant dans un garde-manger souterrain. Même les fumigations n'empêchent pas les insectes d'y pondre leurs larves et de rendre ainsi cette viande tout-à-fait immangeable. A ce moment, Mc Candless comprend qu'il est aux prises avec une force qui se rit de l'humain et sape tous ses efforts ; le soir même, dans son agenda, il écrit que la mort de cet élan est le plus grand drame qu'il a connu depuis qu'il s'est installé dans son minibus abandonné au fond des bois. Peu à peu, le gibier déserte la forêt. Au cours d'une scène étrange, Mac Candless rendu hystérique par l'angoisse tape son fusil sur les galets d'une grève en criant "Où est ce foutu gibier, j'ai faim !". Un ami m'a fait remarquer que la salle a ri stupidement à cette scène, comme si la situation n'était pas grave. Hollywood nous a autrefois appris que le p'tit gars rebelle et inventif parvient toujours à se tirer de pareilles situations. Désolé, pas cette fois. Comme sans doute -même si cela n'a pas été prouvé par les expertises légales- le véritable Mc Candless, le personnage de Sean Penn finit par ingérer des baies mortelles qui se cachaient sous l'apparence de fruits comestibles. Quand il s'en aperçoit, le jeune homme est trop faible pour tenter d'échapper à ce piège.
Il écrit dans son carnet : "I'm trapped by Nature"(pris au piège par la Nature) et de fait jusqu'à sa mort, l'aventurier malchanceux demeure aussi prisonnier que Jean Balue dans sa cage, aussi impuissant que le Roi d'échec à la fin d'une partie, tournant en rond autour puis dans son minibus, jusqu'à ce que la faim l'emporte.


"Il n'y a de bonheur que partagé"


Ce film nous donne à voir une erreur spectaculaire : cette hybris étrange qui pousse le héros à croire que l'autarcie et le simple contact avec la Nature peuvent faire de lui un homme heureux. Quand, à la lumière d'une phrase de Tolstoï, Mc candless se rend compte qu'il ne peut espérer atteindre le bonheur loin de ses congénères, il est trop tard : le fleuve en crue n'offre plus aucun gué. Le jeune homme n'avait pourtant rien d'un misanthrope : les contacts qu'il a su établir avec les personnes rencontrées sur la route ont souvent été très amicales et mêmes parfois bouleversantes (un couple de hippies le considère comme un fils, une adolescente tombe amoureuse de lui, un ancien marine lui apprend à sculpter le cuir et désire l'adopter). Cela fait que le spectateur est averti de l'erreur dans laquelle s'enferre le jeune homme bien avant que lui-même en prenne conscience. Mais c'est justement dans le récit de cet aveuglement,la folie de ce rève d'Alaska qui ne supporte aucune affection humaine, que réside la grandeur du film. Quand le trappeur parvient à la sagesse, il ne lui reste plus qu'à reconnaître son erreur et à mourir dans de grandes souffrances mais en rendant grâce à la vie. Combien, contrairement à Christopher Mc Candless se sont éteints paisiblement sans avoir jamais entrevu le moment où ils se sont fourvoyés ?

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Publié dans cinéma

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T
La solitude est souvent un moyen de se retrouver soi-même. Les grands voyages sont en fait souvent des voyages à la rencontre de soi.Mais je me demande bien s'il s'agit d'une erreur universelle, ou si malgré le caractère plus ou moins grégaire des personnes, pour certains, l'isolement est la meilleure décision pour se être le plus heureux possible. Le bonheur est fait pour être partagé, mais certaines situations font qu'on ne peut pas/plus le partager, même en vivant en société. Alors quoi faire quand on n'a plus personne?Il y a quelques histoires de personnes qui ont essayé de s'intégrer dans la société sans jamais y parvenir, et qui ont décidé de vivre en ermite. Un exemple plus commun d'isolement sont certains éleveurs en montagne qui se contentent du minimum syndical de contact humain et qui préfèrent vivre avec les animaux qu'ils élèvent. Peut-être était-ce le meilleur choix pour tous ces gens, même si c'est une erreur pour des gens sociables......mais dire que c'est une erreur universelle, je ne sais pas, je ne suis pas complètement d'accord, les gens sont trop différents, ont des histoires trop différentes, pour qu'on puisse émettre des vérités implacables comme ça, pour tout le monde.......A la fin de l'article, on peut lire "combien se sont eteints paisiblement sans jamais avoir entrevu le moment où ils se sont fourvoyés".....peut-être était-ce parce qu'ils ne se sont pas trompés, justement......ce sont des cas particuliers......
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R
La solitude peut constiuer une étape sur le cheminement vers la sagesse. Dans maintes civilisations, les ermites s'isolent pour mieux réintéger la société par la suite. Peut être est ce le prix à payer pour réaliser que le bonheur n'existe que s'il est partagé...
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