Président des Etats-Unis de droit divin

Publié le par Damien


In God we trust

Tom Wolfe, connu pour mêler habilement enquêtes de terrain et mises en scène romanesques,  imagine la scène suivante dans son roman le "bûcher des vanités" (1987 ; Livre de poche, 1ère édition, p174-175) : 
Kovitsky, un juge officiant au tribunal du Bronx est obligé de rappeler à l'ordre un prévenu qui s'est mis à lire à voix haute le Coran devant la cour. Le prévenu, Herbert Cantrell, qui tient à ce que le greffier le nomme devant la cour Herbert 92 X, (sans doute le 92ème à revendiquer cet hommage à Malcom X) crie à la censure parce qu'on l'empêche de terminer sa sourate :

-"L'accusé va LA FERMER !, hurle le juge, vous n'avez aucun droit de lire le Coran, le Talmud, la Bible ou les paroles d'Angel Moroni qui a écrit le livre des Mormons, ni aucun autre texte spirituel, aussi divin soit-il -vous n'avez pas le droit de le lire devant cette cour. Laissez-moi vous rappeler, monsieur, que ceci n'est pas la Nation Islamique. Il se trouve que nous vivons en république et que, dans cette république, existe la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Vous comprenez ?  Et cette cour est régie par les lois de cette république qui sont incarnés par la Constitution des Etats-Unis"

[De fait, le premier amendement, construit un "mur de séparation " (pour reprendre l'expression de Jefferson, troisième président des Etats-Unis, en 1802) entre l'Etat d'une part et les religions d'autres part]

"-Ce n'est pas vrai ! " répond immédiatement le prévenu
-Qu'est qui n'est pas vrai, M. 92 X ?
-La séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et je peux le prouver !
-De quoi est-c'que vous parlez, M. 92 X ?
-tournez-vous ! Regardez sur le mur là-haut !
Herbert était à nouveau debout ; le doigt pointé sur le mur au-dessus de Kovitsky. Kovitsky pivota sur sa chaise et leva les yeux. Pour sûr, gravés dans les lambris les mots : EN DIEU NOUS AVONS CONFIANCE


[C'est la même devise, in God we trust, qui figure sur le dollar] 

Cette scène imaginaire s'inspire de faits réels, et sans doute que la devise "In God we trust" est encore gravée dans bien des tribunaux américains. Aujourd'hui, elle me servira en tout cas d'introduction pour traiter un sujet qui est abondamment rebattu par la presse en ces temps de Présidentielles Américaines et que je ne risque donc pas de te faire découvrir, cher lecteur ; je veux parler bien entendu du rôle de la religion dans les élections américaines.

Un président américain ne peut pas être sans religion

A en croire les résultats d'un sondage récent entendu sur France-Culture, aux "Etats-Unis d'Amérique du Nord" (Il existe également les Etats-Unis du Brésil) un noir aurait plus de chances de se faire élire au poste de président qu'une femme, une femme, plus qu'un mormon, un mormon beaucoup plus qu'un gay, un gay un peu plus... qu'un athée ! Un mécréant pour lequel seulement 20% des électeurs supporteraient de voter. On connaît la focalisation d'une grande partie des amérciains sur la question de l'homosexualité; et l'homophobie parfaitement assumée de certains hommes politiques américains ; il est donc surprenant de constater qu'un homosexuel a plus de chances de sortir vainqueur d'une campagne présidentielle qu'un mécréant.
On savait qu'on ne pouvait être partisan déclaré de l'abolition de la peine de mort et président, mais on n'avait pas encore pris la mesure en France de l'impossibilité d'être un athée confirmé et le magistrat suprême de ce pays où devrait prévaloir la laïcité en vertu du premier amendement. 


La "guerre des cultures"

Et pourtant, le constat n'est pas si accablant qu'il peut sembler : la pratique religieuse est en baisse aux Etats-Unis, mais il y a -comme on s'y attend- de grandes disparités entre le Kerryland de 2004 (Etats du Nord, côte Ouest et Californie) et la Bible belt qui vote conservateur (aux dernières élections le conservatisme était très nettement républicain). Le Mid-west reste le fief des born again et des églises méthodistes dont l'auteur du "Seigneur des Porcheries", Tristan Egolf, a fait en 1998 une satire tout à fait bienvenue.

Ces disparités expliquent que les Américains d'un bord à l'autre de la fédération, et parfois (fait nouveau semble t-il d'après certains analystes) dans un même comté, vivent dans deux mondes séparés.
En mars 2004, j'avais découpé dans un numéro du Gardian un article de Gary Younge intitulé "Culture war casualties". Le résultat des campagnes et celui des élections ont confirmé la co-existence de deux Amériques qu'une guerre culturelle oppose de façon larvée ; Une Amérique est en pleine régression vers une vision sacrificielle -et quelque part pré-chrétienne- du christianisme ; l'autre aspire à moins d'idéalisme religieux mais aussi à moins de cynisme dans les relations internationales, prenant peu à peu conscience des enjeux planétaires (pollution - guerre en Irak - relations avec l'Iran et avec la Corée du Nord, etc.) ;
Les choses ne sont pas toujours aussi simples : le sénateur républicain de la Californie, Arnold Schwarzenegger, par son refus d'en finir avec la peine de mort appartient à la première mouvance et par son initiative très médiatisée de surtaxer les véhicules polluants se rapproche de la seconde.
là encore, je ne rappelle que des choses déjà sues.

Pour en revenir à l'article de Gary Younge, il pointait déjà à l'époque que l'élection se jouerait sur des questions comme le mariage gay ou le créativisme (le monde a t-il été crée selon un intelligent design ?)
Ces questions portant sur les "styles de vie"  éclipsaient alors les vrais enjeux et la chose se vérifie encore à ces présidentielles : la crise économique des subprimes, le système d'assurance médicale, la pollution engendrée par la surconsommation, la position des Etats-Unis vis à vis de la Chine, et le retrait des troupes d'Irak passent à la trappe, mais nous avons le plaisir de voir Mme Clinton nous donner des leçons de repassage pour montrer que si elle brigue la magistrature suprême, elle n'en est pas moins une bonne femme de ménage (et qu'un pays se gouverne un peu comme une maison, sans aucun doute...)
Certes, nous n'avons plus de leçons à donner aux Américains sur ce sujet depuis la campagne de 2007, mais cela ne doit pas nous empêcher de porter un regard froid sur les thèmes des campagnes présidentielles dans les pays démocratiques à l'ère de la post-modernité (c'est-à-dire après la fin du mythe de la "nouvelle frontière", de la grande marche en avant" et du progrès continu)

Je cite les propos de Younge :

Welcome to the Culture wars - the daily indicators that the polarisation in US politics has both spawned and is being fed by a huge cultural rift that extends from the airwaves to the altar and from the bookshelves to the bedroom. Alongside concrete issues like the economy, the war and the healthcare, a bitter battle has emerged over the individual lifestyle and moral values, oscillating between the personal, racial, social, sexual and religious, which is shapping the battleground for the forthcoming election". 

Younge tempère aussitôt la nouveauté de la chose en rappelant les propos anti-catholiques que le clan républicain en 1928 adressait au candidat Alfred Smith ou bien la stigmatisation des cheveux longs défilant contre la guerre au Viet-nâm par le président Nixon. Mais le journaliste faisait remarquer que cette fois, en 2004, le phénomène avait brusquement cru en intensité et que le "rift" en question ne divisait pas des opinions différentes sur l'Etat, la politique étrangère et l'économie, mais des styles de vie différents et une référence plus ou moins étroite dans les propos et dans les actes à Dieu sous lequel toute la nation est censée se ranger. (Dans les écoles, les élèves ne récitent-ils pas tous les jours que leur pays ne fait qu'une nation sous la protection de Dieu : "one nation under God" ?


Dans mon prochain article, j'essaierai de montrer plus précisément comment cette "guerre des cultures s'annonce" particulièrement virulente dans cette campagne et cela dès les primaires.
Je signale d'ores et déjà que l'émission Du grain à moudre qui a été diffusée hier sur France-Culture de 17h00 à 18h00 à propos des élections américaines : "Dieu fait-il les élections américaines" (avec entre autres André Kaspi comme invité) est téléchargeable pendant une semaine sur le site de France-Culture)

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Publié dans politique

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