la différence qu'il y a entre un homme et un animal

Publié le par Damien

 

        Les longues soirées d’hiver au coin du feu sont propices à des discussions interminables comme celle-ci, que j’ai eue avec Alexis, Yann et Joseph à Questembert le 4 janvier.

Je ne sais plus comment nous en sommes venus à parler des différences qu’il y a entre l’animal et l’humain. Peut-être est-ce moi qui ai dit qu’en février l’animal qui hiberne en nous, sensible au regain de lumière, commence enfin à relever la tête… ou quelque chose d’approchant.

Joseph s’est mis à parler de l’homme comme d'un composé d’animalité et de raison[1].

Cette définition nous a semblé obscure à la réflexion, car si nous voyons toujours bien en quoi consiste notre animalité, nous arrivons rarement à nous entendre sur ce qu’est notre raison.

Si l’on entend par raison la capacité de fabriquer de longues chaînes d’événements (ceci est la cause de cette conséquence, qui est à son tour la conséquence de telle autre cause, ainsi de suite jusqu’à tomber sur le primum mobile), l’éthologie nous prouve que les singes qui nous ressemblent le plus sont déjà des raisonneurs assez doués.

La raison que l’on déploie dans une argumentation comme celle-ci n’est-elle que le miroir d’une ruse de chasseur, ou sa version la plus moderne[2] ?

La raison de l’homme ne lui permet-elle pas surtout de déraisonner et d’inventer la poésie, la sagesse et les mythes qui lui servent à supporter la rude réalité de l’existence[3] ?

 

 

 

-Bon, ai-je dit, remplaçons la « raison » par la faculté de s’interroger sur ce que sont les choses réellement. Le singe ne verra toujours le bananier que comme un gisement de nourriture ; l’homme peut aussi considérer ce qui fait la particularité de cet arbre par rapport à d’autres arbres, d’où des œuvres comme la classification de Linné et l’Histoire Naturelle de Buffon ; de la même manière qu’il essaie de définir les choses  visibles, il tente de disserter sur les choses invisibles comme je le fais à présent à propos de l’humanité : pour l’homme le chien est un chien ; pour le chien, l’homme est un autre chien, comme nous l’apprend une étude un peu poussée de son comportement à notre égard. Et comment en serait-il autrement ? Seul l'homme a la possibilité de se comporter avec son chien comme un homme ou comme un chien.

 

 

 

Alexis ne prenait en considération que les centimètres cube du cerveau qui selon lui font toute la différence entre le singe et l’homme. Ce volume de matière grise disponible a augmenté au fur et à mesure de l’évolution jusqu’à remplir notre crâne de tout un tas de problèmes non nécessaire à la survie et cela grâce à la libération progressive des membres antérieurs. Il n’y a donc pas pour lui de différence de qualité mais uniquement de quantité entre un homme et un animal. Je passe sur le volume du cerveau de l’éléphant qui doit laisser l’homme loin derrière ; les conséquences pratiques que l’on peut associer à une telle opinion me semblent surtout malaisées à tenir :

  1. Comment cette différence de degré se traduit-elle dans le Droit ? On sait que les fascismes de tous bords valorisent l’animalité et minimisent à dessein ce qui fait de nous des humains. Pendant la dernière guerre, les nazis ont interdit le gavage des oies au prétexte que cela leur paraissait cruel, mais ils ne se sont pas gênés pour organiser des poulinières d’aryens au Tyrol ni surtout pour entasser des hommes dans des wagons à bestiaux avant de les mener comme à l’abattoir au milieu des forêts polonaises.

   Un certain fascisme vert considère aujourd’hui dans l’humanité une espèce mauvaise qui met en danger toutes les autres et dont il s’agit de réguler à la fois les excès mais également la prolifération. Dans le même esprit, je me souviens d' un étudiant de BTS 2ème année dont j'ai corrigé une dissertation en 2001 sur la relation entre l'homme et l'animal. Cet étudiant me soutenait que les expérimentations en laboratoires sur des animaux innocents lui semblaient odieuses et qu'il fallait de toute urgence substituer aux cobayes actuels des criminels qui ont le tort, eux, d'avoir pêché contre leur espèce. A l'époque cela m'a inquiété, parce que cet élève était loin d'être le plus "mal comprenant" de la classe. Combien pensent tout bas, me suis-je dit, ce que lui écrit tout haut avec la colère innocente du redresseur de torts ?

Par conséquent, le Droit, institution humaine (peut-on voir des sujets de droit chez les animaux : grande question !), ne doit-il pas s’appuyer sur la définition d’une essence humaine afin d'être exercé de façon acceptable et pour éviter qu’on ne mette sur le même plan le grief de « cruauté envers les animaux » et l’accusation de « coups et blessures », par exemple.

  1. Peut-on attribuer à ces centimètres carrés de cerveau supplémentaires la manie qu’ont les hommes -manie qui semble bien constitutive de leur être- de dissimuler les dépouilles de leurs congénères aux charognards et de les rendre à la terre (dans certaines civilisations en les couchant en position fœtale comme pour les préparer à une seconde naissance) ? Ne doit-on pas voir dans ce comportement unique une conception de la vie (connaissance d’un terme et hypothèse d’une renaissance) que l’homme est le seul à partager ?

 

 

 

-J’ai alors soutenu que l’homme se définissait par son for intérieur. L’histoire de celui-ci est simple à reconstituer. Un jour, un singe soumis au pouvoir de son chef a repéré la présence dans les environs de sa colonie d’un prédateur en observation. Plutôt que d’en avertir les autres singes, il a retenu l’information pour lui ; au lot des victimes du carnage qui a suivi se trouvait justement le mâle dominant. Iznogood (nommons ce singe ainsi) s’est créé un for intérieur en retenant une information par égoïsme et volonté de pouvoir. J’ai un jour raconté cette histoire à une catholique fervente qui trouvait des critiques à faire à la théorie de Darwin ; elle ne m’a plus reparlé de tout le repas.

 

 

 

-Yann était un peu sceptique, non à cause de l’égoïsme mais parce qu’il situe l’ouverture du for intérieur dans la mémoire. Iznogood, armé pour la chasse, a besoin de suivre la migration des troupeaux sans perdre la possibilité de revenir aux lieux qui l’abritent lui et d’autres membres de son espèce. Son effort de mémoire pour retenir les lieux marque le début de sa capacité à symboliser. Les premières informations qu’il échange par voie articulée sont certainement du genre de celles-ci : « vous continuez tout droit à travers la savane, parvenu aux grand baobab, vous tournez à droite et descendez la pente jusqu’à un ruisseau, vous enjambez le ruisseau et vous prenez la petit raidillon qui mène à l’endroit où j’ai laissé la carcasse de l’antilope que j’ai chassée ce matin. Bon appétit ». Les bases du langage seraient donc les toponymes dont nous nous servons encore aujourd’hui.

 

 

 

Ce soir-là, la bêtise, comme toujours, aurait été de conclure. Donc, laissant en plan cette discussion nous sommes allés reposer nos centimètres cubes de matière grise en regardant OSS 117 à la télévision.

 

 

 

Ayant un peu réfléchi à la question depuis ce 4 janvier, je vous propose d’énoncer quelques caractéristiques qui nous permettront à tous de mieux savoir ce qu’est un homme :

 

 

 

L’homme est un animal à sang chaud qui  peut « choisir à quel degré d’énergie brûler sa vie [4]», contrairement au lézard par exemple, qui ne peut que s’épuiser en mouvements rapides et meurt en très peu de temps ou bien au caniche qui court inutilement sur la plage sans se poser de question et s'éteint en moyenne sept fois plus vite que son maître, l'homme choisit de brûler sa vie par les deux bouts comme Rimbaud ou de briguer des prix de longévité comme Jeanne Calmant.

L’homme est le seul animal qui fait l’amour en tournant son visage vers celui de sa/son partenaire. L’Eglise a longtemps prétendu, à tort, que l’ours faisait de même et elle a détrôné par conséquent cette bête de la place éminente qui était la sienne dans le règne animal pour y mettre le lion qui a l’avantage de ne pas parodier les hommes en coïtant a tergo (cf. Le livre de Michel Pastoureau qui vient de paraître sur l’ours). Le procès de l’ours a devancé celui du singe de huit siècles. Ces procès, bien que distants chronologiquement mettent tous deux en évidence que le vrai coupable est bien l’orgueil mal placé des hommes.

L’homme est un animal capable d’ennui, contrairement au chien par exemple, que la routine n’empêche pas d’apporter tous les jours au même maître le même quotidien trouvé sur le paillasson.

L’homme sait qu’il va mourir, comme le chien peut-être, mais contrairement à ce dernier il a besoin de l’oublier en cherchant du secours dans des histoires qu’il met beaucoup d’invention à façonner : human brain cannot bear too much reality. A ce titre, on peut dire que l’homme est un animal doué de dé-raison si l’on stipule comme certains hommes particulièrement déraisonnables que le réel est rationnel et que le rationnel, à son tour, est réel.

L’homme est souvent moins fidèle que l'ours qui reste avec la même femelle pendant toute la durée de sa vie ou de la sienne.

L’homme est l’animal qui pose sans cesse la question « qu’est-ce que c’est ? »

L’homme est un animal inachevé qui ne saura jamais tout à fait ce qu’il est.

L’homme ne saura jamais tout à fait ce qu’il est parce qu’il est inachevé.

L’humanité est à la fois une qualité de naissance et un processus.

C’est en respectant l’animalité, la sienne et celle des autres animaux que l’homme progresse en humanité.


[1] Animal rationale : Sénèque puis Montaigne qui déjà ne savais plus trop quoi entendre derrière ce rationale

[2] Pascal Quignard, la raison.

[3] C’est ainsi qu’Edgar Morin explique l’activité symbolique de l’homme, animal demens, dans Amour, sagesse, poésie. Le même Edgar Morin, invité à un colloque à Rennes 2 a cité à la tribune le mot de T.S Elliot : human brain cannot bear too much reality

[4] « Il peut fondre ses jours dans une fulgurance de comète ou bien s’économiser dans une existence hibernante », ajoute encore Sylvain Tesson dans son Eloge de l’énergie vagabonde qui vient de paraître aux Editions des Equateurs.

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Publié dans philosophie

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