Vie est son nom, mais mort est son travail.

Publié le par Damien



Il est dur de voir souffrir des proches, parce que la souffrance physique n'est pas partageable. Celui-qui souffre, même entouré d'amour est toujours seul.

L'entropie en thermodynamique désigne la perte d'énergie qui saisit tel ensemble de corps ou bien le désordre qui s'insinue en lui. De la thermophysique à la métaphysique il n'y a qu'un pas que beaucoup déjà ont franchi depuis l'invention du concept. L'entropie permet donc aussi de nommer toute la déglingue qu'un Dieu supposé bon a laissé s'installer dans la Création.

La mort est inscrite dans nos cellules ; nous sommes programmés pour vivre et donc pour mourir. Héraclite avait une parole à ce propos :

bios onoma qanaton d ergon

Ce qui se traduit littéralement par "Vie par le nom, mais Mort par le travail". Le mot Bios accentué sur la dernière voyelle signifie non pas vie mais arc. Le philosophe faisait donc un jeu de mot en comparant la vie à un arc utilisé pour tuer.

Si la dé-génération était indolore, on pourrait l'accepter sans se révolter, considérant qu'il n'y a de mort que là où il y a de la vie, dans la mesure où il y a là de la vie ; tant qu'on n'aura pas établi qu'il a de la vie sur Mars, Mort, tu n'y auras pas d'empire !

Notre grand problème à tous, c'est que ce processus s'accompagne de souffrance physique. La souffrance physique est le grand mystère de la vie, plus encore que la mort.
Les religions nous guérissent de la souffrance morale, et notamment de l'angoisse, en nous promettant un arrière-monde qui serait un vrai monde "ex-tropique", en constante expansion. Ce sont toutes ces étoiles qui accueillent les morts une fois qu'ils sont morts.

Mais certaines religions font pire que de nous laisser désarmés devant la souffrance physique : elles lui donnent un sens. 

Que ne ferait-on pas en effet pour excuser le Créateur d'un monde qui court incessamment à sa ruine en écrasant ses locataires ! Il faut donc que la souffrance veuille dire quelque chose. Qu'on relise les sermons du curé de l'église Saint Michel à Saint Brieuc pendant la guerre 14-18. Dieu envoie la guerre aux hommes pour éprouver leur foi. Les hommes eux-mêmes ne sont pas que les victimes de cette souffrance qui prolifère en temps de guerre. Que de visages mutilés, de jambes arrachées qui continuent de faire mal alors qu'on les a laissées sur des champs de bataille à des milliers de kilomètres de notre lit de souffrance ! Les hommes ont toujours assez de courage pour supporter les souffrances de la guerre, pas assez pour les rejeter avec la guerre, disait D.H Lawrence. 
La souffrance, donc, comme mise à l'épreuve ou comme moyen de rédemption est la grande trouvaille des monothéismes. De là vient le péché originel, de là le rachat universel. Alors on porte sa croix, on fait son Purgatoire in hac lacrimarum valle

Un passage de l'évangile de Jean raffine un peu le problème : on y voit le Christ guérir un aveugle. Jésus avait répondu aux disciples qui l'interrogeaient que si l'homme était aveugle, ce n'était pas de sa faute, ni de celles de ses parents ou de ses grands-parents. La faute n'est donc pas nominative. Si la cécité a affecté cet homme, jusqu'à ce que sa route croise celle du Christ, c'est "pour que soient manifestée en lui l'oeuvre de Dieu". Par des miracles, le Tout Puissant répare les accrocs d'un monde imparfait dont il est pourtant l'auteur. On retrouve encore dans cette scène, cette récupération de la souffrance à des fins partisanes.
Certains sermons disent aussi que sans le mal, l'homme ne pourrait choisir le bien et donc ne pourrait être libre. En somme, la souffrance, qui est le mal sur le plan physique, serait une condition de la liberté de l'homme. Allez-dire cela à un infirme !

Par ailleurs, certains disent que la souffrance sert à nous préserver de dangers graves. Qu'adviendrait-il en effet si nous n'avions pas mal en mettant la main sur une plaque chauffante ?
Mais quand l'attention du malade est entièrement accaparée par la douleur, que des médecins se pressent à son chevet pour le soulager et éventuellement le guérir, pourquoi, l'alerte étant donnée, la douleur continue t-elle à pousser sa vrille dans les nerfs de l'homme ? C'est fait ! je suis prévenu ! pourquoi donc dois-je continuer de souffrir ?

Passée la trentaine, la Mort devient aussi familière à l'homme que la douleur ; on sent qu'autant de portes désormais se ferment derrière soi qu'il s'en ouvrent devant soi.
On meurt souvent comme on vit, tirant sans cesse un trait sur le passé. Jamais plus ! Jamais plus ! 
L'on sait que tous nos plaisirs nous seront un jour arrachés, ce qui rend d'autant plus précieux les moments où nous pouvons en jouir. 
Les vanités qui placent des objets de la vie quotidienne, encriers, luths, fleurs et fruits sur une nappe devant un fond uniformément noir ne disent pas autre chose.
 
Toute chose devient ainsi délectable quand elle apparaît sur fond de perdu.

Mais il semble que la Nature en multipliant ces infections et ces rhumatismes qui assaillent notre mécanique corporelle après soixante ans se soit jurée de nous enlever la vie, de nous en faire perdre le goût.

"La Nature est fasciste", comme le disait Emile Ajar dans La sagesse du Roi Salomon à propos d'une ancienne gloire de la chanson française décatie, et quiconque idolâtre cette Nature ne sait pas ce qu'il dit.


Face à la souffrance, la seule réponse vraiment tenace est la révolte contre toute la littérature que les bien-portants font à propos de celle-ci. La douleur n'a pas de sens, il est inutile de lui en trouver un. Métaphysiquement parlant, un être qui souffre est un scandale vivant.

 



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Publié dans philosophie

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L
Je n'ai pas lu tous ces auteurs, connu toutes ces références. L'épisode de Jésus peut être compris autrement. Et de toute façon, face à la souffrance ou à la mort, j'ai toujours entendu les prêtres dire, comme le père Varillon : il faut continuer à être révolté. Refouler cette révolte et prétendre se réjouir (d'une "naissance au ciel", par exemple), serait inhumain. Le Christ pleure devant la mort de Lazare, c'est sa première réaction.
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