Les Rolling Stones et la valise pleine de dollars

Publié le par Damien

Concert des Stones à Altamont, 1969

Après la tournée mondiale "The bigger Band "de 2006 qui a réuni entre autres près de 90 000 spectateurs au Stade de France, les Rolling Stones annoncent qu'ils vont remettre ça en 2007.

Le talent et l'énergie du groupe ne suffisent pas à expliquer l'adulation dont ils font l'objet ; si les Rolling Stones sont aimés, c'est parce qu'à l'exception de la mort de Brian Jones, le groupe a franchi sans trop d'encombres le cap déterminant de l'année 1970 qui a vu notamment les Beatles se séparer et Jimi Hendrix succomber à une overdose. C'est à dater de cette année que le rock n'roll devenu le rock tout court a commencé à se décliner en genres particuliers : blues-rock, country-rock, jazz-rock, etc.

Avec l'avènement du rock et la célébration de groupes comme les Doors, les Who (qui reprennent également du service), et le Velvet Underground, "tout devient possible. Un monde rêvé, grandiose et sacré, aux ambitions surhumaines et sans limites se substitue au monde réel, jugé méprisable" ( Michka Assayas, 349ème conférence de l'Université de Tous les Savoirs donnée le 14 décembre 2000 et parue dans l'Art et la culture, chez Odile Jacob). Après 1970, le rock devient essentiellement un business ; la tournure qu'on lui voit prendre est moins tragique mais plus cynique ; il se professionnalise (Bruce Springsteen ne se fait-il pas appeler le "boss" ?) Sa sauvagerie est vécue au second degré, en référence aux audaces des pionniers : Jim Morrison, Jimy Hendrix et Syd Barrett, notamment. Dans certains cas, l'agitation démoniaque qui secouait sur scène les chamanes du rock laisse la place à des conversions mystiques : Little Richard devient prêcheur, Bob Dylan se rapproche de Yahvé, George Harisson voue son âme à Krishna. Cat Stevens prend le nom de Yusuf Islam.

Les Rolling Stones ont suivi cette évolution sans voir leur étoile pâlir sauf peut-être chez une minorité d'amateurs qui ne supportaient pas cette alliance objective de l'anticonformisme avec l'argent.  Ces derniers se sont parfois convaincus que seule l'action politique pouvait vraiment changer la vie et mettre à bas l'esprit bourgeois : Staline et Mao réussiraient là où les transes des rockers avaient échoué. Mais pour la grande majorité des sexagénaires, les Rolling Stones incarnent encore l'esprit sans compromission de leur jeunesse, comme si l'année dernière Mick Jagger et son groupe n'avaient pas été accusés de fraude fiscale (cf.LE MONDE | 5 août 2006 | Jean-Pierre Stroobants) comme si, par ailleurs, le meurtre d'Altamont dans les circonstances que l'on sait n'avait jamais eu lieu.

Dans la Biographie qu'il consacre au groupe, François Bon, relate ce concert tragique de 1969 au cours duquel un jeune noir a été assassiné par le service d'ordre. Comme je n'arrive pas à me procurer l'ouvrage, je me contenterai de reproduire ici les mots que j'ai griffonnés en écoutant Bon lire son texte sur les ondes de France Culture un jour de l'été 2004. Je vous recommande évidemment de vous reporter au texte original si vous le trouvez (Rolling Stones. une biographie, chez Fayard)

"Lorsqu'il est sorti de la barraque de chantier dans laquelle on avait dû le cacher, lui et son groupe, en attendant que la scène soit enfin prête pour eux et qu'il est apparu à la foule devant laquelle il allait chanter en ce jour du 5 décembre 1969 à Altamont, Mick Jagger a déclaré que l'important était de chanter ensemble, de danser ensemble, d'être défoncé ensemble (to be stone together). Dès le début du spectacle, le ton a rapidement changé. Mick Jagger a du rappeler ses fidèles à plus de calme et les Rolling Stones ont entamé Sympathy for the Devil sur un tempo de berceuse. Bientôt devant la recrudescence de coups de matraques et de cannes de billard au devant de la scène, seule la berceuse des Stones s'est fait entendre. La voix de Mick Jagger était altérée par la peur. Keith Richards répétait en vain le slogan "Be cool everybody, we are a group, brothers and sisters, pray you, cool out !". Les Hell's Angels bourrés de bière sur lesquels les Rollings Stones s'étaient déchargés du service d'ordre étaient à l'origine de toutes les rixes qui secouaient le devant de la scène.

Sur la vidéo du concert, un cri de femme et une main armée d'un couteau qui dépasse les têtes et s'abat trois fois. Quelques secondes après, Mick Jagger adresse un baiser à la foule et quitte la scène le premier, bientôt suivi par les autres membres du groupe, ruisselants de sueur où l'angoisse se mèle à la fatigue. On jette sur eux des couvertures comme sur des chevaux de course rentrant au paddock. On les évacue en hélicoptère. Le lendemain à l'aéroport de Genève, un journaliste interroge Mick Jagger sur la mort d'un gamin de vingt ans assassiné par des abrutis fascistes pendant qu'il jouait. Il ne répond pas. On prend en photo la valise pleine de dollars, la recette du concert, et chaque membre du groupe passe un bon coup de chiffon sur sa conscience refusant de voir que c'est l'idéologie de paix et de communauté qui s'est effondrée avec Meredith Hunter le jeune homme poignardé ce samedi 5 décembre 1969 à Altamont." 

Accusés d'avoir promis aux Hell's Angels 500$ et de la bière à volonté pour maintenir l'ordre à leur concert (comme cela avait été le cas à l'occasion d'un concert des Grateful Dead qui s'était déroulé sans histoire source : wikipedia, "concert in Altamont"), les Rolling Stones ont engagé l'avocat de Jack Ruby (l'assassin de Oswald) et de Charles Manson pour les défendre ce qui n'a pas contribué à redorer leur blason auprès de ces fans dégoûtés dont je parlais (source : François Gravel dans Ostende). L'article de Wikipedia ajoute que Meredith Hunter était armé d'un revolver et qu'il avait pris des amphétamines. Trois autres morts, cette fois accidentelles ont été à déplorer ; quatre naissances à fêter.

Publié dans musique

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