along the margins of the sea avec Kenneth White
Dans la préface de « Limites et marges », Kenneth White -qui n’a eu de cesse dans toute son oeuvre d’ apporter au monde des Lettres et de la pensée un air venu du large- résume la démarche qui lui a permis d’écrire ce recueil de poèmes :
« A l’écart de tout ce qui se construit sur un sol appauvri ou carrément dans le néant, j’ai fréquenté des lieux au contexte dense, où semble se passer autre chose : un autre rythme, des bruits inédits, quelques errantes lumières. »
Les extraits que je vais citer sont tous extraits du recueil Limites et Marges paru en 2000 au Mercure de France et traduits de l'anglais par Marie-Claude White.
J’aime les poèmes de Kenneth White pour les raisons suivantes :
-comme les haïkus font presque toujours référence à un moment de la journée ou à une période de l’année, les textes de White débutent sur l’évocation d’un lieu. Ce lieu est la plupart du temps un confins, une limite qui ne mène pas à un pays voisin mais à une autre dimension de la connaissance :
« La frontière entre nation et nation
n’est pas d’un intérêt primordial
Ce qui compte, c’est la frontière
Entre l’humain et l’inhumain
Entre deux champs de connaissance
Entre l’esprit et la matière »
(Sur la frontière écossaise)
-La géologie constitue le socle de cette poétique. Kenneth White compare d’ailleurs les roches métamorphiques sur lesquelles il a installé son Gwenved à Trébeurden avec la concentration des forces que nécessite l’acte d’écrire.
-Les cris d’oiseaux, ces messagers d’espaces plus grands que ceux que nous avons coutume de fréquenter[1], font dans ces pages des interventions soudaines et néanmoins régulières.
-La vision cosmique nous attend au détour d’un paysage extrêmement caractérisé comme dans Message :
Tout près de Saint-Quentin-les-Anges
une aire de repos le long de la route
Sur une table en bois
Quelqu’un a gravé cinq lettres :
« monde »
Plus généralement je crois que c’est surtout sa manière de finir un poème qui me fait préférer ce poète à n’importe quel autre que je lis en ce moment : tantôt le poème haiku ou « laisse poétique » est scellé par une note dure et concrète après avoir évoqué un autre monde
« Seulement
Aux confins de l’esprit
La conscience d’un espace quasi infini
Et d’une complexe et mouvante réalité
Vent rude, un roc, un sorbier. » (Sur la frontière écossaise)
Tantôt au contraire sur un ailleurs qui se dégage d’un espace très précis et a priori peu ouvert sur le vaste monde :
« Au dessus du bureau du professeur de géographie humaine à l’UQAM
Pendillait un piège-à-rêves » (Montréal 1996)
Pour conclure, car j’ai peu de temps pour boucler cet « article », peu de poètes ont su donner des concepts de frontière et de confins une traduction aussi poétique et aussi stimulante pour l’esprit et les sens que Kenneth White. L’esprit nous porte au-delà des frontières que nous fréquentons avec amour. Le costarmoricain que je suis ne peut être que séduit par cette façon de se représenter le monde. Je termine en citant la fin de « Strathclyde » dans sa version originale :
Gulls
Swarming round a fishing smack
Out there
In the greywhite wind
“love dwells
along the margins of the sea
and in the mind”.
Mouettes attroupées
autour d’un chalutier
là-bas
dans le blanc et dans le gris
« L’amour demeure
à la lisère de la mer
et dans l’esprit ».
[1] « Un monde
ni ancien ni nouveau
Suivre jusqu’au bout
Le chemin des oiseaux » (Dans la nuit de Nachwak)