Les maladies du libéralisme 1

Publié le par Damien

Après les propos un peu généraux que j'ai tenus sur la crise financière et la fin du capitalisme il y a quelques temps, je voudrais approfondir un peu cette réflexion en me référant à quelques lectures que j'ai faites depuis. Je suis notamment tombé par hasart en faisant des recherches pour un étudiants sur un numéro très récent de la publication "Cliniques méditéranéennes" (2007/1, n°75), et j'en ai lu les articles suivants :

-Serge LESOURD, La mélancolisation du sujet moderne ou la disparition de l'autre
-Ingrid FRANCE, le discours capitaliste libéral, fondements et portée sociale

Pas de chance : certains articles parus dans la base de données CAIRN sont disponibles en texte intégral à tous les internautes, mais pas ceux-là. Seuls les usagers de l'université de Rennes 2 et de quelques autres facs peuvent y avoir accès. Les liens ci-dessus mènent au résumé.
L'intérêt de ces deux articles consiste en ce qu'ils essaient d'interprêter le discours du capitalisme et ses conséquences sous un angle psychanalytique ou psychosocial.

L'article de Serge Lesourd montre que l'idéologie du libéralisme repose sur l'éviction de l'Autre, c'est-à-dire de toute instance régulant les relations entre les deux contractants : le vendeur et l'acheteur.
L'Autre, la Troisième personne, ou le "Tiers exclu" est selon les siècles aussi bien Dieu, que n'importe quelle autorité terrestre, y compris celles qui seraient censées réguler les marchés et qui ne le font pas -ou du moins pas avec l'efficacité qu'on serait en droit d'attendre d'elles (Autorité des marchés financiers, Commission bancaire, Banque de France, FFSA...) :
"L’organisation libérale du monde a pour effet, voire pour visée, de faire disparaître les figures qui incarnent la place du tiers exclu."
L'autre est aussi celui à qui traditionnellement le sujet peut adresser sa plainte. Mais l'homme moderne, dépourvu de cette figure autrefois assumée par la divinité, désabusé par un pouvoir politique qui décline ses responsabilités, se retrouve devant un grand vide.
Avec l'Autre disparaît également la notion d'Interdit. La seule limite à l'action et à la poursuite de la jouissance est l'impossible. Mais cet impossible est purement subjectif : ce qui vous est impossible peut-être réalisé par d'autres ; si vous échouez à atteindre le paradis sur terre, vous en êtes vous-même responsable :

"Le discours du Capitaliste, et ses succédanés, ce que je nomme, dans mon dernier ouvrage [19] les parlottes postmodernes, prônent un mode de rapports à la jouissance qui n’est plus borné par l’interdit, mais par l’impossible. Dans ce champ des parlottes, celui de la post-modernité, le sujet, confronté à l’irréalisable de la pleine jouissance, ne renoncera pas à sa réalisation au Nom de l’interdit posé par la référence. Le sujet dans ce cadre attribuera l’impossible réalisation de sa jouissance soit à son impuissance personnelle, ce qui produira les affres de la dépression et de la dévalorisation subjective, soit à la malveillance de l’autre, son semblable, ce qui activera les voies de l’angoisse souvent teintée de persécution dans le second."

Avec la disparition de l'Autorité régulatrice, d'après Serge Lesourd, le contrat change aussi de fondement. Son but est pour chacun des contractants de parvenir à une jouissance pleine et entière (que les sociétés traditionnelles projetaient dans un au-delà) en prenant le partenaire comme un objet plus ou moins capable de garantir cette jouissance. D'où par exemple, dans l'ordre des relations amoureuses, l'invention du PACS que le désir d'un seul des deux contractants peut annuler. Sur ce sujet, les propos de Lesourd rejoignent ceux de Zygmunt Bauman, dans L'amour liquide, que j'ai déjà évoqués (quoique Bauman ne condamnait pas forcément les nouvelles conceptions de l'engagement amoureux et ne prétendait qu'en faire le constat)

Lorsqu'il arrive qu'un des deux contractants s'identifie effectivement à l'objet de l'Autre, il se pose alors en victime (statut privilégié dans la société d'aujourd'hui) ce qui lui permet de clamer son impuissance radicale.

"Bien des adolescents sont pris dans cette logique, je pense, par exemple, aux jeunes des banlieues françaises qui se soutiennent de ce discours : « Ça sert à rien que je cherche du travail, car je m’appelle X (nom d’origine étrangère), que j’habite Y (nom d’un cité) et que je suis jeune. Il faut changer ce système pourri. » Trois fois victimes du racisme (ce qui n’est pas toujours faux, de la ségrégation (parfois existante), du rejet anti-jeune, ils sont des pures victimes et ne se sentent plus impliqués dans ce qui leur arrive car ils sont réduits, et y adhérent, au pur rang d’objet déchet. Sortir de cette place d’objet rejeté ne peut se faire qu’en empruntant les voie de la révolte, en transformant l’autre de la relation en persécuteur méchant anonyme (le système pourri de la formule)."

Bref, retenons de ce premier article, cette logique du libéralisme qui exclue toute puissance régulatrice  de la relation entre les deux contractants dont chacun considère l'autre comme un objet plus ou moins susceptible de lui permettre d'atteindre la complétude de sa jouissance. En cas de défaut de cet objet, le contrat est déclaré nul. Mais le sujet, confronté de façon répétée à l'incomplétude de sa jouissance ne peut plus compter sur aucune Troisième personne pour se plaindre, ni aucune autorité pour borner son désir. De là nait ce vide, ce manque de confiance en soi qui ouvre la voie à une société majoritairement dépressive.




Publié dans philosophie

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J
Et c'est bien vrai, la disparition de ce TIERS, ce 3ème qui, comme dans un triangle, assure la cohésion de l'ensemble, conduit à la ruineTout montage 'linéaire' avec deux entites, peut se plier, se casser. le triangle est fort, cohérent, solideLe mystère trinitaire chrétien n'est-il pas en fait l'image de cette stabilité indispensable?
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