Devenir une personne : à propos du film de Costanzo, In memoria di me

Publié le par Damien

In memoria di me, film de Silvio Costanza, sortie en salle en France le 16 avril 2008

"Je veux devenir une personne"


La question n'est pas "la vie a t-elle un sens", mais "que voulons-nous en faire" ?
, a écrit le romancier Louis Guilloux.

Andrea, le personnage central du dernier film de Costanzo, a décidé de consacrer sa vie à "devenir une personne", et pour lui, ce projet se confond avec celui de devenir un homme de Dieu.
C'est pourquoi, au début du film, il se présente au début du film devant l'abbé du couvent de Santo Giorgio di Maggiore au début du film pour obtenir une place dans la communauté des Jésuites qui y vivent.

Pour Andrea, en effet, protagoniste de In memoria di me, film sorti en France le 16 avril, nous ne savons plus quoi faire de la liberté que nous avons conquise sur le plan affectif, économique, politique et sexuel. Cette liberté, si nous n'avons pas appris à en disposer, nous amène à rompre nos engagements et nous condamne toute notre vie à courir après des ombres. Telle est la thèse posée sous une forme interrogative par le film de Costanzo et qui suscite la critique

Le monastère comme lieu d'oppression


En effet, dans sa manière de filmer les espaces clos (talent déjà observé par les critiques dans le premier film de Costanza Private), dans les rares dialogues que comporte ce film et qui laissent la place à beaucoup d'identités et enfin dans les trajectoires opposées que prennent Andréa et son condisciple Zanna (l'un reste, l'autre part), le film ne tranche pas cette question. Le monastère est un lieu d'oppression parce qu'on y vit sans cesse sous le regard de ses frères. Ceux-ci ont d'ailleurs l'obligation de vous dénoncer au supérieur "pour le salut de votre âme". C'est ainsi qu'une conversation entre Andréa et Zanna sur la vacuité du silence qui règne dans ces lieux sera surprise par un troisième pensionnaire et rapportée au Père Supérieur. Pourtant, les portes du monastère sont toujours ouvertes, et au début du film, l'un des personnages, ne supportant plus le silence, ni les discours que l'on fait à propos de la vie "qui est souffle" décide de quitter définitivement le monastère. Chacun est libre d'en faire autant, mais ce serait-là signer un échec personnel.

Les personnages du film


Andrea est un jeune homme doué pour les études, beau et rien moins que superficiel. Lors de son entrée au monastère, il dit que parmi les amis qu'il s'apprête à quitter, il fait figure d'un "battant", mais que cette réussite lui semble sans goût face à la responsabilité qui lui incombe de devenir une personne à ses propres yeux, en suivant la voie que Dieu lui a tracée.
Passée cette présentation rapide au père supérieur, on ne saura rien de plus de la vie passée d'Andrea qui, sauf au moment où il sera surpris à discuter dans la chapelle avec Zanna, observera avec le plus grand scrupule les recommandations qui sont faites aux moines de parler le moins possible.
Le personnage d'Andréa, interprêté par Christo Jivkov, affiche la plupart jusqu'à la fin du film un visage indéchiffrable sauf lorsqu'on sent le personnage traversé par la curiosité. A la fin du film, lors d'une scène mémorable de prière collective, ce masque tombe brusquement et laisse la place aux larmes et aux tourments. Andréa se rend compte qu'il manque d'amour et de foi et qu'il passe son temps à feindre.

Pannella (Fausto Russo Alesi) est le premier disciple à quitter le couvent. Un peu plus âgé que les autres, il semble moins réceptif aux discours des Supérieurs du couvent. Le monastère où se déroule l'action ne ressemble à aucun monastère en particulier. Contrairement à Philip Gröning lorsqu'il a filmé le Grand Silence (documentaire sur les moines de la Grande Chartreuse de Grenoble), Saverio Costanzo n'a pas cherché à faire oeuvre de réalisme et à reproduire scrupuleusement les règles d'un ordre en particulier. On peut dire que les exercices spirituels auxquels se livre l'assemblée de ce couvent ressemble fort à la discipline d'Ignace de Loyola. Au cours d'un exposé, qu'il fait sur la notion "vie", ("qui veut sauver sa vie la perdra"), Panella -dont le spectateur sait qu'il est torturé par ses doutes- butte sur la signification du mot : "la vie, bafouille t-il, c'est la psychè, c'est à dire, en grec, le souffle, mais aussi la responsabilité et la personnalité". Mais il ne peut aller plus loin, car sa propre personnalité étouffe littéralement dans l'univers clos du monastère. Il est le premier à partir. Andréa est témoin du départ et n'est pas dupe des explications que l'abbé donne à propos de sa défection pour masquer la vérité aux autres disciples.

Zanna (Filippo Timi) se dérobe dans un premier temps à la curiosité muette mais insistante d'Andréa, puis lorsqu'ils se trouvent seuls dans une chapelle (ou du moins qu'ils croient s'y trouver seuls), il lui confie qu'il a voulu se tuer et qu'au dernier moment il s'est ravisé mu par une inspiration divine qui l'a amené jusqu'au monastère. Seulement, il ne sent plus Dieu dans ce monastère qui ne fait que reproduire les hiérarchies et l'oppression inhérente au monde social qu'il a quitté. Il veut partir et il mettra lui aussi son projet à exécution. La relation ambigue qu'il a avec le Père supérieur (une rivalité intellectuelle mêlée dans laquelle entre une certaine attirance homosexuelle) ne suffira pas à le retenir.

Regards inquisiteurs


Les regards que s'échangent les jeunes disciples sont d'autant plus intenses que leurs paroles sont rares par obligation religieuse. Ces regards tantôt questionnent, tantôt jugent, tantôt expriment de la souffrance en dépit là encore du précepte enseigné dans ce lieu selon lequel le futur moine doit se montrer en toutes circonstances aussi indifférent qu'une statue.
Une grande partie de la force du film réside dans ces face-à-face, au réfectoire, ou bien dans la bibliothèque, où les jeunes ascètes lèvent la tête de leur livre ou de leur ordinateur portable à chaque entrée dans la pièce.

Le couloir du monastère et l'infirmerie


L'autre grand mérite du film, j'en ai parlé, c'est la mise en scène des espaces où déambulent les futurs moines et en particulier celle du corridor. Au bout de ce corridor, le monde apparaît sous la forme d'une baie vitrée qui donne sur le canal. Par cette baie, Andréa peut observer le passage régulier des vapeurs qui longent l'île de Santo Giorgio di Maggiore et parfois, exceptionnellement les clartés d'un feu d'artifice. Mais ce couloir donne aussi sur un mystère, celui de l'infirmerie qui attire dès son arrivée le jeune novice. L'infirmerie ne comporte qu'un seul malade, veillé par Zanna, un être décharné, dont on entrevoit plusieurs fois la silhouette marchant au milieu du couloir dans un contre-jour onirique. Ce frère moribond dont on ne sait rien incarne les souffrances du Christ et s'oppose vivement avec le ton définitif et sec des premières homélies d'Andréa.

Voies divergentes


Ainsi, dans la dernière séquence, Zanna, qui toute la durée de son séjour au monastère a peint des visages torturés par la souffrance et l'angoisse, finit-il par quitter le monastère souriant pour retrouver la vraie vie "emportant Dieu qui est au fond de [lui] dans le monde" tandis qu'Andréa referme sur lui les portes du monastère qu'on avait toujours vues ouvertes jusqu'alors avec un sourire identique.

L'un et l'autre sont devenus des personnes ; Zanna, par ses dessins expressionnistes et en veillant un moribond a rendu visible l'humanité souffrante que les moines s'efforcent de cacher en eux-mêmes et refusent de voir chez les autres (à l'exception de quelques uns comme Andrea). Il a affirmé que le silence des monastères n'était pas forcément habité. Son départ du monastère est le signe qu'il a trouvé sa place dans le monde ; Quant à Andrea il a trouvé sa voie en découvrant les limites de sa foi et de sa capacité à aimer autrui, mais il ne s'est pas laissé abattre par cette découverte. Contrairement à Zanna, le fait qu'il reste au monastère est chez lui le signe qu'il est devenu ce quelqu'un qu'il a rêvé d'être. Dans le film de Costanzo, ce ne sont pas les voies du Seigneur qui sont impénétrables mais les chemins que nous empruntons pour devenir vraiment une personne.







Publié dans cinéma

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J
Il y aurait à rapprocher ce film de celui d'Alain Cavalier sur Thérèse de Lisieux ..une vision du monachisme certes réductrice mais assez éclairante sur un univers clos et parfois à la limite ...
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G
commentaires justes et enrichissantsmoi j'ai aimé la phrase du père supérieur à zanna: "mon Dieu est faible, il n'est pas descendu de la croix"
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